Voilement et Contault ----- 122e R.I. ----- 21e Cie - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Voilement et Contault ----- 122e R.I. ----- 21e Cie

1915 > Préparation en Champagne (Av.-Sept. 1915)

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- Samedi 4 septembre 1915 -


Travail comme d’habitude, malgré les bruits de déménagement qui circulent. Repos pourtant en arrivant. Mais vers 10 h, on nous prévient que nous devons partir à 13 h. Donc il faut boucler son sac. Nous n’avons pas trop de courage mais y allons quand même.
Départ à 14 h seulement. D’autres régiments sont là pour nous remplacer. Tous les bois voisins sont d’ailleurs remplis de troupes de toutes armes. De nombreuses batteries d’artillerie vont prendre position à côté d’une multitude d’autres de tous calibres, qui sont déjà installées : c’est effrayant !

La grande offensive de la Seconde Bataille de Champagne est prévue pour le 8 septembre 1915. En fait elle va être reportée au 15, puis finalement au 25 septembre.


Itinéraire : Somme-Bionne, les Maigneux, Gizaucourt et Voilemont où nous devons séjourner quelques jours. Nous sommes logés dans une vaste ferme. Nous avons du foin plein les granges. C’est là que nous nous installons pour dormir.
Après une petite visite à l’église, où je m’enquiers s’il y a le nécessaire pour dire la Ste-Messe et où je salue le Bon Dieu, j’entends quelques confessions. Je suis heureux de trouver une sacristie fort bien tenue, où rien ne manque, et une église coquette quoique vieille. Le St-Sacrement est au tabernacle, mais chose curieuse et constatée une autre fois à Herpont – autre annexe – point de lampe indiquant que le St-Sacrement est dans le tabernacle. Sans doute doit-on obtenir des dispenses pour ces cas particuliers. M.Cros et moi décidons qu’une messe de communion serait célébrée à 7 h du matin et une grand-messe à 10 h.
Puis un sommeil poussé jusqu’à 7 h du matin me remet complètement sur pieds.

- Dimanche 5 septembre 1915 -


Programme exécuté dans son intégralité. Messe de communion à 7 h, une dizaine de communions. A 10 h, messe devant une très grande assistance, beaucoup d’officiers. A la fin, j’annonce la bénédiction du St-Sacrement à 19 h 45.
Déjeuner sur l’herbe. Sieste. Souper. Promenade à Voilemont. Vêpres avec nombreuse assistance. Somme toute, journée bien remplie et assez agréable au Bon Dieu, j’espère.

- Lundi 6 septembre 1915 -


Ste-Messe à 6 h 30. Quelques communions. Puis travaux de propreté. A 15 h, revue en tenue de campagne. Le soir, à 19 h 30, réunion à l’église. Bonne assistance, quoique cérémonie improvisée. Prière. Chants. Chapelet.

- Mardi 7 septembre 1915 -


Ste-Messe à 5 h 30. Exercice dans la matinée. Le soir, travaux de propreté. On nous annonce notre départ pour demain matin 7 h. Réunion à 19 h 30 à l’église.

- Mercredi 8 septembre 1915 -


Messe à 5 h 30. Départ à 7 h. But : Contault à une 20ne de  km, encore en arrière. Itinéraire : Rapsécourt, Dampierre le Château, Dommartin sur Yèvre, Noirlieu. Jamais je n’avais tant senti comme aujourd’hui le poids du sac et … de la chaleur. Je suis à bout de souffle à chaque pause. Grande halte à Noirlieu. Puis 2 km pour arriver à Contault. Beau village, belle église vue au passage. Nous logeons dans une grande ferme où nous sommes bien couchés sur la paille. Repos pendant la soirée : on aménage le campement.
A 19 h 30, réunion à l’église où nous chantons les petites vêpres à la fin desquelles M. Sahut, l’un des aumôniers du Corps, nous adresse la parole et nous parle de Marie. C’était juste puisque c’était la fête de la Nativité (Nota : de Notre-Dame). Très nombreuse assistance, église absolument comble. Distribution de chapelets. Point de bénédiction du T.S. Sacrement, parce qu’il ne réside pas dans le tabernacle. Rendez-vous pour demain soir, même heure.

- Jeudi 9 septembre 1915 -


Réveil 6 h 30. Ste-Messe 7 h. Travaux de propreté. Revue l’après-midi. Réunion à l’église, mêmes exercices qu’hier soir : assistance encore plus nombreuse qu’hier soir.

- Vendredi 10 septembre 1915 -


Ste-Messe chez le lieutenant du Sorbet, à 5 h. Exercice au-delà de Bussy-le-Repos. Vu au passage Ginestous du 81 e ; c’est un confrère séminariste de Rodez. Nous avons une réelle joie à nous donner une bonne poignée de mains au passage, faute de mieux. Après-midi de garde aux issues. Confession.

- Samedi 11 septembre 1915 -


Répétition de la journée d’hier. Travaux de propreté l’après-midi. Je vais m’enfermer chez M.Cros. Suis invité par M. l’aumônier à chanter la grand-messe militaire à 9 h. J’accepte


- Dimanche 12 septembre 1915 -


Réveil à 6 h. Exercice de  7 h à 9 h. On rentre tout juste assez tôt pour aller à la grand-messe que je célèbre devant une assistance très nombreuse : l’église est trop petite pour contenir tous ces uniformes.  Un grand nombre est dehors, et pourtant beaucoup se pressent autour de l’autel. Je me réjouis de l’honneur qui m’est fait de paraître avec les vêtements sacerdotaux au St-Autel, en présence de mes compagnons d’armes.
Quartier libre jusqu’à 13 h. Je suis de corvée de bois, les autres vont laver. Aussitôt rentré, je vais chez Cros où j’ai la joie de rencontrer Estéveny ( 15 jours avant qu'il ne soit grièvement blessé !) et Pronzac du 322 e qui se trouve à 2 km  d’ici. Douces effusions, on cause des amis, de Rodez, de tout, puis on fait sauter le champagne et on choque au triomphe de la France.
Soirée comme à l’ordinaire.


- Lundi 13 septembre 1915 -


Marche. Départ à 4 h 30. Ste-Messe à 3 h 30.
Itinéraire : Bussy-le-Repos, Possesse et St-Jean devant Possesse, route de Noirlieu.
Après-midi comme à l’ordinaire.

- Mardi 14 septembre 1915 -


Rien à signaler. Je suis de garde, ce qui me permet d’entendre les grondements du canon pendant les heures de faction de la nuit. C’est sans doute le bombardement qui commence.
Exercice dans la soirée.



- Mercredi 15 septembre 1915 -


Rien à signaler, sauf le grondement persistant et de plus en plus continu du canon.

Par l’intermédiaire de Eugénie, Maman m’envoie 2 boutons de rose du jardin, après y avoir déposé, ainsi que Papa, un tendre baiser. J’en pleure d’émotion, tellement je suis touché de ce délicat souvenir. À mon tour, je baise respectueusement cette fleur bénie.

- Jeudi 16 et vendredi 17 septembre 1915 -

Rien à signaler.

- Samedi 18 septembre 1915 -


Marche militaire. Je ne puis point dire la Ste-Messe à cause de l’heure matinale du départ (4 h 30) et de la difficulté que j’aurais eu à me procurer un servant de messe : c’est la 2 ou 3 e fois seulement que cela m’arrive depuis bientôt 6 mois de séjour au front.
Itinéraire de la marche : Bussy-le-Repos, St-Jean devant Possesse, Possesse, St-Mard sur le Mont, Contault. Temps lourd, marche assez fatigante, mais sac allégé. En route, je vois au passage Estéveny et Delaire.
Après-midi : repos. Le soir, prière et réunion à l’église.

- Dimanche 19 septembre 1915 -

On apprend le départ du capitaine Castel qui commande le bataillon depuis sa création. Il avait peu l’estime des  hommes qu’il ne savait guère gagner. En termes assez émus, il nous fait ses adieux après une revue qu’il nous a passée en tenue de campagne. Il va au 143 e – 12 e Compagnie. A 9 h grand-messe que je chante sur l’invitation de M. l’aumônier. Eglise comble. M. Sahut parle de l’Evangile du jour qui se terminait ainsi « Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers ». Là-dessus, M. l’aumônier a quelques mouvements qui font impression. Tout en lui, du reste, inspire la piété et le recueillement.
Après-midi, vêpres à 14 h : je suis au lutrin et Cros accompagne ; pas beaucoup de monde, mais le peu qu’il y a chante avec entrain. A 19 h 15, réunion pour prière et salut. M. Sahut nous démontre la thèse de l’existence de Dieu, et m’annonce que le lundi soir, M. Moisan lui posera les objections qu’il résoudra du haut de la chaire.

J’adresse au lieutenant du Sorbet une lettre justificative en faveur du sergent Renaud, séminariste, mon ami de la Compagnie que le lieutenant veut faire passer à la 35 e. Me basant sur nos relations antécédentes, je lui dis carrément ce que je pense, ne soupçonnant pas ce qui m’attendait, et l’accueil qui serait fait à ma supplique. Je voulais à tout prix garder Renaud et surtout faire cesser les préjugés du lieutenant contre lui. J’aurais dû dire tout cela de vive voix, malheureusement je l’écrivais. Ma condition posée, au cas où Renaud me serait enlevé, était la suivante : demande de départ immédiat dans un régiment combattant.

- Lundi 20 septembre 1915 -

Rien de nouveau, sauf arrivée de notre nouveau capitaine qui nous passe en revue. Surtout, j'apprends le résultat de ma demande auprès du lieutenant : il est tout autre que celui que j'attendais. Il est stupéfiant. Désirant causer avec le lieutenant, je me rends chez lui. Mais il me reçoit sans mot dire et me dit à l'instant de faire ma demande, sans quoi il se charge d'utiliser ma lettre pour m'y obliger, et sur ce, il me prie de disparaître de devant ses yeux. Je suis abasourdi, cet homme ne m'a pas compris, je lui parlais en prêtre, je parlais à l'ami qu'il avait semblé être pour moi. Il n'a vu que le soldat faisant de cruels reproches à son lieutenant ... C'est fâcheux, surtout pour lui, car enfin ma conscience ne me reproche rien.
Ma demande sera faite demain matin. Ce n'est pas ce qui me chagrine, mais c'est de voir que je n'ai pas été compris du tout, et que mon lieutenant s'obstine dans son mépris orgueilleux à mon égard. Du reste, en y réfléchissant, je ne suis pas trop étonné, car vraiment il n'avait guère manifesté à mon égard la confiance qu'il aurait pu avoir. Je m'efforce de lui pardonner ; j'y arrive aisément devant Dieu, mais je ne puis oublier, ni cesser de m'étonner.
Je suis très distrait ce soir-là à la prière. Je m'efforce cependant de ne pas trop faire connaître à tous mes amis le triste événement, surtout de dire toute mon indignation contre celui qui me causait le chagrin.


- Mardi 21 septembre 1915 -


Ste-Messe comme d'habitude à l'église. Puis exercice. Je fais ma demande de passage au 322 e, le lieutenant la contresigne. Rien à signaler sur le restant de la journée. Conférence dialoguée entre M. Sahut et M. Moisan les deux aumôniers. Eglise comble.

- Mercredi 22 septembre 1915 -


Marche militaire. Je dis la Ste-Messe à 4 h 30. Marche courte et peu fatigante. Aussi trouve-t-on cela bien nouveau. Ma demande ne part pas encore vers la Division à cause d'une erreur naturelle.


- Jeudi 23 septembre 1915 -


Rien à signaler sauf le passage de troupes innombrables pendant la nuit : fantassins et cavaliers en grand nombre, se rapprochant du front vers Valmy ; c'est un tapage infernal pendant toute la nuit.


- Vendredi 24 septembre 1915 -


Marche militaire ; départ à 5 h 15. Je dis la Ste-Messe à 4 h. Rien à signaler pour la matinée. Le soir, lavage.
On apprend le départ de brancardiers de corps ; c'est donc la fin de ces intéressantes réunions à l'église puisque les 2 aumôniers suivent leur groupe. Aussi, tout revêt un peu plus de solennité ce soir, surtout le ton de M.Sahut qui est ému à la veille de quitter ces nombreux soldats qui chaque soir se pressaient autour de sa chaire. Distribution de médailles et de croix, puis poignées de mains échangées en guise d'adieux. A moi est confiée la continuation de ce bel apostolat.

- Samedi 25 septembre 1915 -


Ste-Messe à 5 h. Exercice comme d’habitude. Le soir, travaux de nettoyage du cantonnement et des armes. À 19 h, réunion à l’église, je dis la prière, exposition du St-Sacrement, chapelet, puis j’indique l’horaire des offices du lendemain, messe de communion à 6 h, grand-messe à 9 h, vêpres à 19 h 30. Puis j’entends une quarantaine de confessions. Je suis content que la quinzaine de prière que nos aumôniers ont dirigée avec tant de zèle ait porté ses fruits, car plusieurs pénitents ne se sont pas confessés depuis Pâques : c’est à ceux-là que je fais le meilleur accueil.


Le 25 septembre 1915, les Français lancent l'offensive de la Seconde Bataille de Champagne , sans interruption jusqu'au 1er octobre. Beaucoup de pertes côté français, sans que les objectifs initiaux soient tous atteints.



- Dimanche 26 septembre 1915 -


A 3 h le clairon sonne le réveil, on n’en tient pas compte. Vers 4 h 15, on nous annonce qu’à 4 h 30, il faut se mettre en route. Grande effervescence : on est prêt à l’heure indiquée et on se met en route vers Gizaucourt. Je ne puis emporter mon autel portatif, cela me cause beaucoup d’ennui. Marche fatigante par sa longueur : 20 km. Le sac est allégé. Arrivée à Gizaucourt à 10 h. Le temps de me débarrasser du sac et, vite à l’église, où j’entends la messe paroissiale de 10 h. C’est un bonheur pour moi, car je n’espérais pas y assister. Soupe sur le pouce à 13 h.

Un peu avant, nous avons vu passer un détachement d’une soixantaine de prisonniers boches. Cela donne du courage, mais quelle allure ont ces pauvres gens ! Ils sont jeunes, maigres, sales, et paraissent très fatigués. On en a pris 17 ou 18 mille, nous dit-on. Et sur tout le front, on a déclenché la fuite des barbares. On le croit en voyant ces prisonniers. ( Nota : Ernest ne pouvait pas savoir que, de l'autre côté du front, il allait y avoir environ 50 000 soldats français qui "défileraient" de la sorte ...) Deux colonnes passent à quelques heures d’intervalle : la 1 ère de 60, la 2 e de 243. Quelques-uns, moyennant une cigarette, arrachent eux-mêmes leurs boutons ornés de la couronne impériale pour les donner, d’autres s’y refusent. A la gare, ils attendent un autre convoi de 1500 que nous voyons passer dans des wagons à bestiaux. Ils ont l’air heureux, ceux-là. Car on leur a donné des boîtes de singe, qu’ils ont évidemment vidées ; ils nous sourient au passage. L’un d’eux même, avec sa pipe, fait le geste de presser la détente ; il est l’ennemi jusqu’au bout, celui-là !

Changement de cantonnement dans la soirée. C’est un remue-ménage affreux. Enfin, parmi les chevaux, on réussit à dormir un peu.




Suite du récit :    Montée au front.


 
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