Alsace #3 du 31 décembre 1917 au 24 janvier 1918 - 96e R.I. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Alsace #3 du 31 décembre 1917 au 24 janvier 1918 - 96e R.I.

1918

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- Lundi 31 décembre 1917 -

Dernier jour de l’année !
Nous avons un tué dans la C.M.2. Ce pauvre malheureux était à la veille de partir en perme. La 6e compagnie est remplacée par la 7e en ligne, vers 4 h du matin. Dans la matinée, beaucoup de calme, mais dans l’après-midi ça s’envenime : les Boches expédient des rafales d’obus dans tous les sens, sans but précis, semble-t-il. Au moment où je me trouvais en ligne, à la 7e compagnie un obus blesse 3 soldats. Blessures légères, ils sont quand même évacués. Le bombardement devient furieux pendant la nuit, on s’attend de plus en plus à une sortie des Boches….


- Mardi 1 er janvier 1918 -

…. Le matin arrive cependant sans qu’elle se produise. Le bombardement se calme instantanément vers 6 h 30. Il semble donc que les Boches craignaient un coup de main de notre part et qu’ils voulaient le conjurer en nous écrasant sous leurs feux. La journée est assez calme.
Je célèbre la Ste Messe à l’intention de tous les miens. Parmi eux, je compte naturellement mes camarades du bataillon.
Cette nouvelle année nous réserve sans doute bien des surprises, agréables ou non. Je demande à Dieu - pour moi surtout - la grâce de toujours faire sa sainte volonté, quelle qu’elle soit !
Au dîner, on nous sert un supplément qui consiste en une portion de jambon, deux oranges, un cigare ; le champagne n'est pas encore arrivé. Ce sera pour demain. Notre petit déjeuner ne manque pas de charme. Après le bombardement furieux de la nuit et de la journée d'hier, on se plaît à respirer le calme plat.


- Mercredi 2 janvier 1918 -

Rien de spécial à noter. Tout se passe normalement pendant la journée. Le père Jouanno nous rejoint pour quelques jours encore. Dans l'après-midi, je vais reconnaître le P.S. de Michelbach. C'est une installation parfaite ! Au retour, visite aux brancardiers de la 6e Compagnie et aux confrères du G.B.D.

- Jeudi 3 janvier 1918 -

Journée plate. Rien de spécial à noter, en dehors des bruits de relève qui circulent : la division serait relevée par la 32e . On n'est sûr de rien. Attendons par conséquent les événements. La neige se met à tomber de nouveau.

- Vendredi 4 janvier 1918 -

Journée ordinaire. Froid vif. Quelques obus par-ci, par-là.

- Samedi 5 janvier 1918 -

Le commandant Escarguel est rentré de permission. Il en rapporte une bonne humeur, rare chez lui ! C'est avec lui que je m'entends pour les messes de demain. M. Jouanno étant de retour, nous en disons chacun une, à 8 h 30 au P.S. et à 9 h 30 au P.C. de la compagnie de réserve. La compagnie de Michelbach pourra profiter des messes dites par les prêtres du G.B.D.

- Dimanche 6 janvier 1918 -

J'ai la joie de recevoir la visite de M. l'abbé Tersy du 81e . Il a été mon voisin toute cette semaine et je n'en savais rien.
Assistance convenable à nos deux messes, mais j'ai dû courir d'un abri à l'autre pour convoquer les poilus. Dans l'après-midi, visite au camp Marquié, voisin du nôtre ; je n'y rencontre pas l'abbé Tersy.
Le soir, après la soupe, visite aux brancardiers de Michelbach et aux confrères du G.B.D. Je revois un petit père capucin, P. Vernhe, qui avait momentanément quitté la formation.

À Roderen.

- Lundi 7 janvier 1918 -

Réveil à 3 h. Relève à 4 h. Froid moins vif. Pas d'incident pendant la relève. Le dégel s'est produit pendant la nuit, ce qui rend la marche assez aisée. Je célèbre la Ste Messe avant de partir.
A Roderen, nous trouvons un bon petit poste de secours. Visite à l'église vers 7 h. M. le Curé célèbre la Ste Messe devant une assistance nombreuse de fidèles. Je vais le saluer à la sacristie. Je vois que la réputation d'amabilité qui lui a été faite par mes confrères est bien fondée. Rencontre d'un autre confrère, observateur du régiment, qui dit sa messe.
Journée d'installation Pas de réunion du soir à cause de la lumière. Visite plus prolongée à M. le Curé : c'est le meilleur des hommes, Français de cœur autant que saint prêtre. Décidément, cette Alsace est un joyau de l'Eglise Catholique. Dieu veuille qu'elle revienne à la France après cette guerre !



- Mardi 8 janvier 1918 -

Ste Messe à 7 h. Douches pour la 2e CM - ou du moins, essai de douches, car l'appareil ne veut pas fonctionner.
Après la pluie battante d'hier, c'est la neige qui tombe depuis 3 h du matin, et qui recouvre le sol d'une couche épaisse. Le vent l'accumule par endroits, ce qui rend la marche très pénible.
Le soir, visite à M. le Curé de Rammersmatt et à une famille.

- Mercredi 9 janvier 1918 -

Ste Messe à 6 h 15 pour permettre à quelques fervents de communier. Journée calme. L'après-midi, je vais à Aspach (*) visiter les brancardiers de la 5e compagnie qui est restée en réserve. Parmi eux, l'abbé Jouanno. La veillée, visite à M. le Curé de Thann, chevalier de la légion d’honneur. Il parle très élégamment le français.
(*) : probablement Aspach-le-Haut, proche de Roderen. Le village dénommé Aspasch se trouve beaucoup plus loin, près de Altkirch. Il était

d'ailleurs en zone allemande. À ce propos, on consultera utilement l'étude archéologique des tranchées allemandes faite à Aspach. La page 20 du document localise le front d'Alsace en 1917-18.


- Jeudi 10 janvier 1918 -

Le dégel se produit, ce qui amène beaucoup d'eau partout, et surtout rend la marche très difficile sur l'épaisse couche de neige. J'ai néanmoins décidé d'aller voir M. le Curé de Guewenheim et l'abbé Ressiguier. J'y vais dans l'après-midi. M. le Curé, que je vois le premier, m'accueille à bras ouverts. Chez lui, je rencontre M. le Curé de Sentheim, plein de courtoisie, et un peu plus tard arrive M. le Curé de Soppe-le-Haut pour faire la traditionnelle partie de "Taro", jeu de cartes spécial, pratiqué surtout parmi les membres du clergé. Au presbytère, je rencontre aussi M. l'abbé Chocqueel, aumônier du 122e . Puis enfin je trouve M. l'abbé Ressiguier qui est tout heureux de me voir, et réciproquement. Nous causons de mille et une choses, puis vers 15 h 30, nous nous séparons. Le soir, encore visite à M. le Curé.

- Vendredi 11 - samedi 12 janvier 1918 -

Rien de spécial, temps très froid. Les gens du pays circulent en traîneau ! Nous nous entendons avec M. le curé pour les offices de demain. Il est entendu qu'à cause du mauvais temps, je ne prêcherai pas.


Dimanche 13 janvier 1918 -

M. le curé me charge de célébrer la grand-messe de 9 h. Eglise très garnie. M. le curé veut bien lire l'Evangile du jour en français et adresse quelques mots aux soldats.  Ça fait plaisir d'entendre parler notre langue par ce bon curé. Il s'exprime un peu difficilement mais avec correction. A 10 h 30 dîner au presbytère. M. le curé met tout son cœur de prêtre à me faire les honneurs de sa table : c'est un touchant réconfort, pour nous prêtres-soldats, de recevoir un accueil si paternel chez ces bons curés alsaciens. Le soir, vêpres à 14 h. Préparatifs de départ pour 3 h du matin.

En ligne, à Aspach-le-Haut.

- Lundi 14 janvier 1918 -

Le dégel s'est continué durant la nuit ; aussi c'est à la boue qu'on a à faire ce matin ; on tâtonne un peu dans l'obscurité et parfois on plonge profondément ses pieds dans les pistes boueuses. Clopin-clopant, on arrive vers 4 h 30 à Aspach-le-Haut où se trouve notre poste de secours. Il est parfaitement bien aménagé. Je puis y dire ma messe bien

tranquillement peu après mon arrivée. En revanche, la situation de ceux qui sont en ligne est des plus désastreuses : le dégel et la fonte des neiges ont inondé tranchées, boyaux et abris. Triste semaine en perspective pour les pauvres poilus. Visite de M. Fontan dans la matinée. Après-midi, visite du secteur : malgré mes bottes, j'ai grand mal à m'en tirer et je me mouille bien un peu. Je parcours aussi le secteur très vaste du bataillon en commençant par la gare d'Aspach (5e compagnie). Par endroits, je suis bien obligé de passer à découvert à cause de l'eau : camarade Fritz ne fait pas le méchant !....Soirée et nuit calme.

- Mardi 15 janvier 1918 -
Rien de spécial à noter. Je fais mon petit tour en ligne
. De plus en plus l'eau envahit tout et rend la circulation plus difficile. Les pauvres poilus souffrent héroïquement, mais souffrent beaucoup et souvent inutilement pour leur âme, puisqu'ils ne savent pas élever leur cœur vers Dieu.





- Mercredi 16 janvier 1918 -

Je suis réveillé précipitamment par un bombardement furieux ; je saute aussitôt de ma couchette et vais dehors me rendre compte de ce qui se passe : quelques obus sur Aspach. Mais c'est surtout à droite de la gare d'Aspach que le bombardement est furieux ; les minen boches tracent leur trajectoire lumineuse dans le ciel, les fusées de toutes les couleurs jettent aussi leur note lugubre dans ces ténèbres épaisses. La pluie tombe par-dessus le marché. Au bout d'une demi-heure le calme revient. Je me remets dans les couvertures, rien n'ayant été signalé des lignes.
Après ma messe, j'apprends que les brancardiers de la 5e ont apporté un blessé ; je vais le voir au poste, ce n'est pas trop grave. Immédiatement après, je monte à la gare d'Aspach : je suis péniblement affecté en voyant un brancard. Sans vie, un des plus anciens soldats de la 5e compagnie (Nicolaud). J'apprends qu'il a été tué par la même bombe qui a blessé un camarade. Il continue à pleuvoir, de sorte que ce coin de notre tranchée tout bouleversé par les projectiles, présente un aspect bien triste. Dans les abris inférieurs, les Poilus ont de l'eau jusqu’à mi-jambe, heureusement qu'ils ont des bottes ! On apprend ce qui s'est passé : les Boches ont fait un coup de main sur notre 1er bataillon ; ils ont enlevé un pauvre malheureux qui n'y voyait pas trop et ont laissé eux-mêmes un mort sur le terrain.


+ ce 16 janvier 1917 (*)


Bien chère Maman, ma chère Clémence,

Voici déjà 4 ou 5 jours que je ne vous ai pas donné de mes nouvelles ! Elles sont toujours excellentes malgré le mauvais temps et notre séjour en ligne : ce n’est pas le paradis, bien entendu, surtout pour les pauvres diables qui prennent la garde : il y a tellement d’eau avec ce dégel et la pluie, que j’ai grand peur qu’il y en ait qui se noient dans les tranchées : enfin que voulez-vous, tout cela nous rapproche de la fin. Ma permission approche aussi. Je vais partir demain ou après-demain : je passe par Toulouse où je m’arrêterai 2 jours ! Je vous donnerai encore 10 jours à vous autres.
 Plus rien de nouveau à vous annoncer. Je vous embrasse affectueusement

Ernest



(*) : Ernest Olivié a écrit "1917". On peut penser qu'il s'est trompé ; en janvier, ce sont des choses qui arrivent !

- Jeudi 17 janvier 1918 -

Dans l'après-midi, malgré la pluie, je me rends à Michelbach pour assister à 3 h aux obsèques du camarade Nicolaud. Cérémonie simple mais bien touchante, bien triste aussi quand on songe aux chers absents qui ne peuvent seulement pas accompagner à sa dernière demeure l'être chéri qui a versé son sang pour la France : sa femme, ses chers petits ! Que de choses tristes dans cette guerre ! Que Dieu tienne compte de tous ces cruels sacrifices, qu'il les agrée en compensation de toutes les ignominies que nous sommes en train d'expier !

- Vendredi 18 - samedi 19 janvier 1918 -

A noter pour ces deux jours une amélioration notable du temps. Le 81e vient reconnaître pour la relève. Coup de main non réussi.


Au repos, à Roderen.

- Dimanche 20 janvier 1918 -

Vers 5 h, relève. A 3 h, j'ai dit ma messe. L'abbé Tersy du 81e me remplace au poste de secours. Nous arrivons sans encombre à Roderen à la pointe du jour. Grand-messe civile et militaire à 10 h. Peu de soldats y assistent à cause des nombreuses corvées de toute sorte qui s'imposent à eux dès leur arrivée à un cantonnement, surtout qu'ils sont couverts de boue et tout mouillés. Je vois M. l'abbé Sahut, de passage. M. le curé de Sentheim nous accueille de la façon la plus aimable. Etant bien fatigué, je ne vais pas aux vêpres.

- Lundi 21 janvier 1918 -

Sainte Messe vers 6 h 30. Travaux ordinaires de nettoyage. J'attends ma permission pour l'un de ces jours. La pluie réapparaît.

- Mardi 22 au samedi 26 janvier 1918 -

Rien de spécial à noter. Tout marche à l'ordinaire sauf que je ne pars pas encore en permission. Vraisemblablement nous avions de l'avance sur les autres compagnies et on fait à dessein de ralentir la marche. Cela ne m'affecte pas trop, puisque nous ne sommes pas trop mal au repos. Tous les soirs à 6 h, réunion habituelle à l'église.


*** FIN DU CARNET N° 12 ***






René Foulquier, neveu d'Ernest Olivié et père du webmestre de ce site,  ne parvint jamais à retrouver le ou les carnets suivants.


Suite : les derniers mois.


 
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