Somme-Bionne ----- 122e R.I. ----- 21e Cie - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Somme-Bionne ----- 122e R.I. ----- 21e Cie

1915 > Préparation en Champagne (Av.-Sept. 1915)

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- Jeudi 1 er juillet 1915 -


Départ fixé à 6 h. Messe à 4 h. Tandis que nous attendons sur la route le rassemblement des diverses C ies, j’ai le bonheur de voir au passage mon grand ami Poujol sur un des caissons de sa batterie de 75 (4 e), qui va s’embarquer à Valmy pour une destination inconnue.
Nous n’avons que 4 km pour arriver à Somme-Bionne, où nous occupons les cantonnements du 96 e. Ça manque bien de confort, mais ce qui suffit aux pauvres poilus au retour des tranchées, peut bien nous suffire à nous aussi. Par ce beau temps, ça suffit du reste : 2 ou 3 corps de baraquements en planches mal jointes, mal couverts, très bas, constituent un abri suffisant ou presque. Vite chacun met la main à la pâte, et en un clin d’œil, chacun aménage sa petite place. Nous ne serons pas si mal que ça, pourvu qu’il ne pleuve pas !
A Somme-Bionne, j’ai le plaisir de trouver un confrère aîné brancardier, à l’ambulance 6/16, et … (illisible) préposé à l’eau stérilisée. Cette fonction, choisie à dessein, lui laisse des loisirs nombreux, dont il profite pour faire le ministère de la paroisse qui n’a pas de curé.
Nous passons une agréable soirée ensemble. Nous allons visiter le Bon Dieu dans une maison hélas bien pauvre…. L’église est vraiment délabrée, misérable. Il paraît que sans la guerre, on devait travailler à en ériger une autre ; mais on ne se plaît que mieux à remercier le Bon Maître qui veut bien, malgré la pauvreté du lieu, habiter constamment parmi nous.

- Vendredi 2 juillet 1915 -


Rien à signaler. Messe à 4 h du matin. Le reste de la journée est employé à l’aménagement du camp. Le soir à 6 h ½, mois du Sacré-Coeur. à l’église, parce que l’heure ne convient pas à notre bataillon.

- Samedi 3 juillet 1915 -


Rien à signaler pour la matinée. Le soir à 7 h, j’ai le bonheur d’entendre en confession une dizaine d’excellents pénitents. Le Bon Dieu veut bien m’assister dans l’exercice d’un ministère tout nouveau pour moi et toujours délicat. Je me sens vraiment prêtre à cette heure-là.

- Dimanche 4 juillet 1915 -


Aujourd’hui nous est réservé un de ces spectacles qui émerveille tous ceux qui ont le bonheur d’y assister. Suivant l’usage de la paroisse, à 9 h, une messe militaire est célébrée en plein air, au beau milieu d’un grand champ. La clique du Bataillon est requise pour jouer « Au drapeau », et donner à cette cérémonie un caractère vraiment militaire. L’autel, érigé par les soins de l’Etat-major, avec le concours de la municipalité, présente un aspect vraiment pittoresque. Deux couvertures militaires tiennent lieu de tapis. Tout autour, des feuillages verts entremêlés de drapeaux tricolores et des alliés.
Le tout ayant comme fond le ciel bleu, l’horizon où gronde le canon. M. l’abbé Segond, brancardier prêtre, célèbre la Ste Messe. Pendant ce temps, de nos plus belles voix, nous chantons la Royale, avec de temps à autre quelques cantiques français. Tout le monde est pieusement recueilli. Beaucoup gardent la tête découverte, malgré l’ardeur du soleil qui darde ses rayons à pic sur nos têtes.

Visite à Hans, où je vois Pascal, Beq, Bernat.

5, 6 et 7 juillet 1915 -


Rien à signaler, sauf la marche de mercredi qui ne me permet pas de célébrer la Ste Messe, à cause de l’éloignement de l’église, et de l’heure très matinale de départ (3 h). C’est la première fois depuis mon débarquement en Champagne. Cela me fait de la peine, mais Dieu ne demande pas l’impossible. La veille je dus, faute de servant, dire ma messe en rentrant de l’exercice, à  9 h. Le Bon Dieu a dû être un peu content de moi, malgré mon indignité.
Le soir nous jouissons du repos sur toute la ligne.

- Jeudi 8 juillet 1915 -


Je reçois la visite du sergent Beq, du 1er Bataillon. Rien à noter.


- Vendredi 9 juillet 1915 -


Le 3e Bataillon est au repos à Hans. Cela me vaut de revoir un certain nombre d’excellents amis : Privat, Galandrin, Delaire, Chazal. Le soir après souper, ou mieux après l’appel, nous nous réunissons au coin d’un champ voisin de notre cantonnement, pour choquer verre et causer un peu ; c’est charmant. On parle des amis vivants et, hélas ! des morts.
J’apprends la mort de  notre cher petit ami Hilari, caporal mitrailleur au 76e, qui après avoir vécu pendant 5 ou 6 ans dans une école d’enfants de troupe, rêvait cependant de se donner au Bon Dieu. Âme vraiment prédestinée, d’une pureté enfantine. Son souvenir vivra toujours dans mon âme. Nous nous sommes rappelés tous ceux qui l’avions vu partir de Rodez. Quel pressentiment de mort agitait son âme ? Il était d’une profonde tristesse. A 2 h, le matin de son départ, je lui donnai la Ste Communion. Quand on s’est embarqué ainsi fortifié par le St Viatique, on ne peut faire que la mort d’un saint. C’est sûrement un petit saint qui à présent intercède auprès de Dieu pour ses terrestres amis.
J’apprends encore la mort de notre confrère J. Cayssials, sergent au 24e Chasseurs. Autre belle âme que Dieu n’a pas voulu laisser plus longtemps en contact avec cette misérable terre, et ainsi le nombre de nos protecteurs du ciel s’accroît tous les jours.
A 10 h, nous nous séparons pour aller chacun  de notre côté, prendre un peu de repos.

- Samedi 10 juillet 1915 -


Messe à 4 h moins ¼, comme d’habitude, puis exercices habituels.
Le soir j’entends une douzaine de confessions. C’est pour moi une grande consolation. Ces bonnes âmes viennent à moi avec une confiance touchante. On voit bien qu’ils ne voient en moi que le prêtre, car s’ils connaissaient l’homme – leur pauvre semblable – ils s'en éloigneraient ou, du moins, ils n’auraient plus la même confiance. Cela doit bien me faire comprendre que je ne suis rien. Mais la grâce de Dieu qui m’a fait prêtre m’a élevé, malgré mon indignité, au rang le plus haut. Mais c’est Dieu, et Dieu seul, qui a fait de moi quelque chose, par conséquent je n’ai rien qui me porte à m’enorgueillir.

- Dimanche 11 juillet 1915 -


Lever peu matinal en raison de l’heure à laquelle je dois célébrer la Ste Messe. J’ai été désigné pour célébrer la grand-messe militaire en plein air. Je suis fier de me montrer ainsi au St Autel à tous les camarades du Bataillon. C’est une grande joie pour moi, en même temps qu’un grand honneur, de faire ainsi descendre NS sur ce pittoresque autel de campagne, tandis qu’à ses pieds une foule d’uniformes variés se prosternent face à Dieu. De temps à autre, quelques coups de canon nous rappellent que l’ennemi est proche. Dans le silence de cette union momentanée à Dieu, dans cet échange de pensées pieuses, dans ce dialogue avec le Bon Maître, chacun lui expose ses besoins, prie pour sa famille, pour les parents, les amis tombés au champ d’honneur et dont les tombes sont parsemées dans la campagne qui nous environne. Le chant de la Royale me rappelle nos plus solennelles  cérémonies du pays. Soyez béni, ô mon Dieu ! de vouloir bien donner à vos chères âmes d’assister à ces cérémonies si réconfortantes, d’avoir bien voulu que, nous les prêtres, nous vivions avec les soldats pour leur procurer toutes ces consolations spirituelles.
Après-midi passé en compagnie des  amis Cros et Bernard, dans un petit coin solitaire. Vêpres à 8 h moins ¼. Église trop petite pour contenir le grand nombre de soldats venus prier.

- Lundi 12 juillet 1915 -


Rien à signaler. Je dis la Ste Messe pour obtenir de Dieu le rétablissement de mon cher papa très gravement malade.
On nous annonce qu’un de ces jours, nous allons être appelés en 2e ligne, pour aménager des tranchées. Cela me cause de la joie, car la vie que nous menons ici me paraît par trop monotone.

- Mardi 13 juillet 1915 -


Messe célébrée pour les morts de ma famille, pour deux en particulier, à l'intention de maman. Je n'oublie pas tous mes chers confrères et amis qui reposent en grand nombre dans les environs, jouissant sans doute du repos éternel. La 33e Cnie va ce soir travailler aux tranchées. Demain, ce sera notre tour. La pluie les accompagne : dès ce soir, ils connaîtront la boue des tranchées.


- Mercredi 14 et jeudi 15 juillet 1915 -


Nuit terrible durant laquelle il y eut la tempête de pluie et de vent, dominée par une effroyable canonnade qui - paraît-il - est devenue surtout intense à partir de minuit. Les poilus de la 33 e ont dû abandonner leur chantier et sont rentrés à 2 h. Le calme se rétablit un peu dans la matinée. Seul le canon gronde sans cesse. Ce sont des salves continues qui font retentir tous les échos, et donneraient facilement l'illusion d'une réjouissance publique, comme cela se produit dans les grandes villes, le 14 juillet.
Ce qui est plus consolant, c'est qu'à une messe célébrée à 5 h du matin, une trentaine au moins de mes camarades du Bataillon viennent, après s'être confessés, recevoir la Ste Communion. Le Bon Dieu aura bien son compte de cette journée de fête.
Quartier libre durant la matinée. Après-midi, manœuvre avec (?) à 4 h, puis départ aux tranchées à 7 h.
Le ciel n'est rien moins que serein. Mais « en avant » quand même, un peu de pluie ne nous fait pas peur. Nous partons au chant des poilus, au grand scandale des vieux poilus dépenaillés et fourbus, qui ne s'expliquent guère notre enthousiasme que par un repos trop prolongé à l'arrière.
La marche devient plus pénible à mesure que l'on s'avance, et que la nuit devient plus noire. Vers 10 h seulement, nous arrivons à Wargemoulin (actuel village de Wargemoulin-Hurlus). Par Hans, nous avons fait jusque là une dizaine de km environ. Encore 2 ou 3 km et nous arrivons à notre chantier, éclairé par les feux des projecteurs et la lueur des fusées.
Wargemoulin offre un aspect piteux : les toits sont tout percés d'obus, plus de portes ni de fenêtres. L'église seule conserve encore un certain aspect de fierté, bien qu'elle soit bombardée. La flèche de son clocher se dresse encore fièrement vers les cieux, comme pour braver l'ennemi. A 11 h ½, la pluie tombant par trop épaisse, nous sommes obligés d'abandonner le travail. Ma veste de toile cirée me rend de très grands services. C'est d'ailleurs l'heure du casse-croûte. A la hâte, à minuit, je grignote mon morceau de pain tout en dévalant clopin-clopant vers Wargemoulin. Le chemin est glissant, les obus l'ont labouré. La nuit est noire, aussi la marche est-elle fort pénible.

À Wargemoulin, nous nous mettons à l'abri, tandis que le café se prépare. Tout le monde est gai. Pour moi, ayant donné un peu satisfaction à mon estomac, je m'endors. Vers 1 h, on reprend la direction du camp. La marche est fort pénible, parce que le terrain est très glissant. Le sommeil m'accable. A 3 h 15 seulement, nous arrivons à Somme-Bionne, crottés et fourbus.
Vite, je me dirige vers l'église, accompagné de M. le lieutenant du Sorbet, qui me sert la Ste Messe, qu'il m'est assez aisé de célébrer malgré la fatigue. Puis nous cassons la croûte ensemble et, d'un commun accord, nous décidons d'aller prendre un peu de repos.
À 10 h seulement, je me réveille. Reste de la journée consacré à nettoyer les effets, et à se reposer. Puis rien à signaler pour la journée du 15.

- Vendredi 16 juillet 1915 -


Rien à signaler. Le temps est mauvais, aussi la 35 e ne va pas aux tranchées. Je reçois un paquet de Tante ( Eugénie Olivié, de Toulouse ), avec les détails sur la santé de mon père. C'est plutôt encourageant.

- Samedi 17 juillet 1915 -


Rien de bien spécial à signaler, sauf que le temps reste toujours pluvieux, cependant la 35 e va aux tranchées. Je reçois l'avis que l'autel portatif m'est expédié. Le soir, confessions assez nombreuses de nos chers soldats. Cela me cause beaucoup de joie. Je demande à Dieu la grâce de m'inspirer de pieux conseils à prodiguer à ces chères âmes. Elles sont pour la plupart saintes : beaucoup n'ont même pas matière à absolution. Plusieurs ne se sont pas confessées depuis Pâques. C'est surtout celles-là qu'on a plaisir à voir se rapprocher de Dieu.



- Dimanche 18 juillet 1915 -


Je dois encore aujourd'hui célébrer la grand-messe militaire en plein air. C'est pour moi une si grande joie que j'accepte sans me faire prier. Revue à 8 h comme d'habitude. Puis la cloche nous appelant, et accompagné de beaucoup de camarades, je me dirige vers l'autel de campagne qu'ornent avec soin 2 ou 3 soldats, sous la direction d'un capitaine d'administration. M. l'aumônier du Corps (P. Moisan) commente l'Evangile du jour (parabole du serviteur infidèle). Tout le monde l'écoute avec recueillement. Puis N.S. descend sur l'autel, tandis que le soleil nous éclaire de ses rayons les plus brillants, et que le canon gronde en face de nous. Spectacle inoubliable ! Devant Dieu toutes les têtes se découvrent, les indécis ou les indifférents semblent devenir pensifs. Les autres - ceux qui savent prier - font monter vers le Maître de ferventes prières.

À 13 h, visite très brève de Foucras qui a hâte de regagner Hans pour aller assister aux vêpres. M. Segond vient nous rejoindre, et avec Cros et Bernard, nous allons causer un peu à l'ombre des grands saules, dans le silence de la nature. Vêpres comme d'habitude à 19 h 45 : nombreuse assistance.

- Lundi 19 juillet 1915 -


Rien de bien spécial. Journée consacrée à lancer des bombes le matin, et aux exercices habituels le soir.



- Mardi 20 et mercredi 21 juillet 1915 -


Messe à l'heure habituelle, puis tir. Après-midi consacré au repos absolu parce que nous allons travailler aux tranchées ce soir, à 19 h. Départ à l'heure précise ; Arrivée à 22 h 15 par un demi clair de lune. Le ciel est en partie voilé par quelques nuages, qui menacent un peu de nous arroser. Nous nous mettons au travail avec entrain, mais le sommeil nous fait cruellement souffrir La fusillade est assez nourrie en face de nous, mais surtout à notre droite où se trouve le fortin de Beauséjour. Nos batteries de ce côté ébranlent constamment l'air, tandis que fusées et projecteurs nous éclairent d'une lueur discrète, heureusement pour nous. Point d'accident à signaler. A 23 h 30 je casse la croûte afin de pouvoir garder le jeûne eucharistique pour célébrer la sainte messe. Le lieutenant indisposé ne nous a pas accompagnés. Retour au camp à 4 h 45. Je vais à l'église célébrer la sainte messe malgré l'extrême fatigue qui me fait ployer sur mes jambes. Au retour je m'endors d'un sommeil profond. Douche dans l'après-midi.


Suite du récit : retour à St-Rémy s/Bussy.

 
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