Au front de l'Aisne # 4 - Canal de l'Oise à l'Aisne - 322e R.I. - 21e Cie - 6e Bataillon. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Au front de l'Aisne # 4 - Canal de l'Oise à l'Aisne - 322e R.I. - 21e Cie - 6e Bataillon.

1916 > Front de l'Aisne

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- Lundi 1 er mai  1916 -


Lever matinal. Ste-Messe à 6 h 30 à l’église de Dhuizel. Avant de la quitter, je fais une petite visite à la chapelle de la Sainte Vierge : ce sera mon ouverture du mois de Marie.
Quelques achats. Déjeuner et départ vers 10 h par un soleil de plomb. Aussi j’arrive complètement fourbu, vers 13 h, au « Bois de la Source ».

Je reçois ordre de renforcer ce soir l’équipe d’une autre C nie (22 e). On craint qu’il y ait de la casse, parce qu’on veut tenter une surprise sur un petit poste ennemi, cette nuit même.
En prévision d’une nuit blanche, je me repose un peu dans l’après-midi. Le soir, je ne me couche pas, je consacre les longues heures de la soirée à écrire quelques lettres, à prier.
A minuit, nous allons nous poster à un petit poste par lequel doit passer la patrouille. A minuit ½ , celle-ci sort. Tout se passe à peu près bien. Nuit assez favorable pour la surprise, point de lune, un léger brouillard. Les Boches ne lancent même pas de fusées.
Au signal convenu, nos batteries tirent vers la 1 ère ligne boche pour distraire l’ennemi et l’empêcher de surveiller trop minutieusement. En fait les patrouilleurs, au nombre de 12, rentrent au bout de 1 h ½, bredouilles comme au départ. Le petit poste boche est bien gardé, paraît-il, par des réseaux infranchissables de fils barbelés.

Ce sera donc à recommencer, à moins qu'on soit

plus sages et qu’on laisse de côté une expédition aussi dangereuse.
Vers 2 h 30, nous regagnons nos cagnas et à 3 h du matin je me couche.

- Mardi 2 mai  1916 -


Lever vers 6 h 30. Ste-Messe à 7 h chez le Capitaine Moreau (C nie X).
Journée calme, malgré un petit bombardement réciproque des 1ères lignes. Rien à noter pour le courant de la journée.
Note des Etats-Unis à l’Allemagne, restée encore sans réponse. On craint naturellement que celle-ci fasse des concessions qui calmeront celle-là, sans aucun profit pour les Alliés.

- Mercredi 3 mai  1916 -

Matinée comme à l’ordinaire. Nous apprenons le départ du Dr Galas pour une ambulance du front. Cette nouvelle nous afflige fort, car nous perdons un des hommes les plus estimables, avec qui tout le monde devait et pouvait s’entendre. Excellent chrétien et comprenant comme in convient le rôle du prêtre auprès des blessés, il ne manquait jamais de nous signaler un blessé en danger de mort. Sa vie chrétienne était un exemple pour beaucoup d’autres. Espérons qu’il sera bien remplacé.
Journée fort chaude qui vous enlève le peu de vigueur qu’on a. Quelques bombes boches tombent sur notre « boulevard ». Deux petits blessés parmi les brancardiers.
Rien à noter de plus spécial.

- Jeudi 4 mai  1916 -

M. Galas, en instance de partir, vient faire ses Pâques à une de nos messes au Bois du Centre. Puis il passe dans nos abris pour nous faire ses adieux. En réalité, il paraît aussi attristé que nous de son départ. Son successeur est déjà arrivé. C’est un jeune major de 25 ans, tout récemment promu et reçu docteur depuis quelques mois seulement.

- Vendredi 5 mai  1916 -

Jour de relève pour la C nie x et peloton de C nie T , ce qui entraîne pour nous un changement de poste, peu avantageux du reste.
Très violent bombardement vers 3 h de l’après-midi. Les bombes boches pleuvent serrées et assez précises sur notre « boulevard » où se trouvent les abris. Fort heureusement, ceux-ci ont tenu assez bon, bien que récemment endommagés
. Deux victimes cependant, 2 gros rats qui se sont fait zigouiller au moment où ils prenaient l’air hors de leur trou. Personne ne les a pleurés …
Point de blessés dans notre bataillon et c’est merveille, car il est tombé de la ferraille ! …
Nous apprenons que nos troupes au MORT HOMME ont remporté un brillant succès (plus de 100 prisonniers).
Soirée pluvieuse.

- Samedi 6 mai  1916 -

Le départ de la 21 e C nie a entraîné celui de l'abbé Tersy. Je ne puis pas ce matin offrir le St Sacrifice, faute de servant de messe ; cela m'ennuie d'autant plus que c'est le jour où je célèbre la Ste Messe pour notre cher Papa.
Bombardement violent pendant l'après-midi. Point de perte chez nous cependant. La pluie se mettant à tomber, la vie n'est plus bien gaie. Un peu ennuyé pour l'organisation des messes de demain.
Nouveau personnel médical au Pont-de-Moussy et au Bois du Centre : le commandant du 86e Territorial qui remplace le nôtre est protestant. On m'assure qu'il est tout à fait libéral, je ne fais point cependant de démarche auprès de lui, un peu par timidité.
En revanche, je vais prévenir le médecin auxiliaire du Bois du Centre où, comme d'habitude, je compte dire une messe au P.S. à 9 h 30. J'en reçois un excellent accueil, il m'assure que je ne pouvais mieux tomber qu'avec lui, car il est pratiquant, et enchanté de ma démarche auprès de lui !

- Dimanche 7 mai 1916 -

Ste-Messe au Pont-de-Moussy à 7 h 30. Belle assistance composée surtout de territoriaux du 86 e , bretons pour la plupart. J'improvise un servant de messe : notre brave caporal brancardier (Vendôme) veut bien s'en charger et s'en acquitte du reste fort bien, quoiqu'il ne l'ait jamais fait. 2e messe à 9 h 30, au Bois du Centre : assistance ordinaire, plutôt nombreuse.
Bombardement des pièces lourdes allemandes (105 et 150) aux environs du Bois du Centre. Je ne sais ce que cela présage. Soirée comme à l'ordinaire.

- Lundi 8 mai 1916 -

Matinée marquée surtout par un bombardement assez soutenu de l'artillerie ennemie sur la région des bois de la Source et du Centre. Point d'accident cependant avant 5 h du soir. Malheureusement, les dernières rafales d'obus et de bombes nous ont fait deux blessés graves, à la 24 e  C nie. L'un d'eux expire quelques minutes après sans connaissance. Je lui administre les derniers sacrements sous condition. L'autre ne parait pas présenter de signes certains de gravité. Le major juge même qu'il s'en tirera fort bien. Vu son état, je ne pense pas lui proposer les derniers sacrements. Je vais le porter à Ribodon avec 3 autres brancardiers un peu avant la nuit.


- Mardi 9 mai 1916 -

Le bombardement n'est pas trop violent pendant la matinée. Nous en profitons pour ensevelir le mort de la veille ( Ferrié de St-Côme). Je bénis sa tombe et, au retour, je dis la Ste-Messe pour lui.
Après midi, bombardement épouvantable, par bombes surtout, dans la région du Bois du Centre : on voit voltiger dans les airs claies et gabions. Quelques rafales de gros obus ; notre artillerie ne riposte guère.
Vers 17 h, au moment où je me disposais à souper, le caporal brancardier me prie de le suivre au bois du Centre où des blessés graves sont signalés. Je me mets en route avec lui et le major. Trois morts sont signalés, plus 2 blessés et quelques commotionnés. Les blessés sont sans gravité ; auprès des morts, impossible d'exercer mon ministère, car ils sont bien morts depuis une demi-heure.
Je me mets en devoir de creuser les fosses avec mes camarades. A peine étions-nous au travail qu'une première rafale d'obus boches vient s'abattre dans notre direction. A peine nous étions nous précipités dans notre abri que d'autres rafales arrivent sur notre petit bois, sans discontinuer pendant une grosse demi-heure. C'est un fracas épouvantable qui nous assourdit et nous fait tanguer dans notre abri comme sur une légère embarcation. Fusants et percutants arrivent sans répit. J'ai été bien décidé à me voir enseveli dans notre cagna, car elle semblait être spécialement visée. Je me suis contenté de renouveler à Dieu le sacrifice de ma vie et de réciter quelques dizaines de chapelets pour que Marie nous obtienne la grâce de n'avoir pas trop de malheurs à déplorer.
Fort heureusement, notre artillerie ne tarda pas à riposter très violemment, et bientôt même l'artillerie boche se taisait. Nous n'entendîmes plus que le sifflement de nos 75 et 90 allant s'écraser sur la 1ère  ligne boche. Les balles se mirent aussi à crépiter ; il eût été téméraire de s'aventurer au dehors avec une telle pluie de projectiles.
L'orage une fois calmé, je monte vers les abris de réserve où je trouve tout le monde sur pied, un peu en émotion, mais sans victimes. Aucun blessé ne nous est signalé, c'est un vrai miracle. Nous ne pouvons en croire nos yeux, c'est pourtant la réalité. Le calme se rétablit bientôt grâce auquel quelques équipes de travailleurs peuvent restaurer un peu notre 1ère ligne et la rendre "défendable". Je regagne mon poste vers 22 h, fatigué un peu, mais content de ma journée.

- Mercredi 10 mai 1916 -

Dès 5 h, je suis sur pied. Je monte avec le caporal brancardier au Bois du Centre pour procéder à l'inhumation des 3 morts d'hier au soir. Nous ne sommes point inquiétés pendant cette besogne. Ces pauvres morts ne sont plus que des loques, deux ayant été ensevelis dans un abri sont littéralement en bouillie. Nous pouvons cependant recueillir leurs pièces d'identité et quelques objets qu'ils ont sur eux. Je bénis leur tombe et récite un "de profundis".
Après quoi je retourne à mon poste vers 7 h pour dire ma messe. Nous apprenons qu'à la faveur du bombardement, une patrouille boche a réussi à pénétrer dans notre tranchée où elle a fait 8 prisonniers, dont 3 hommes du génie. Ils ont laissé dans notre tranchée une caisse de grenades et quelques outils de "cambriolage". Voilà quel était le but de ce bombardement. Les conséquences auraient pu être plus graves si notre tir de barrage n'avait pas effrayé les Boches.

Journée calme dont je profite pour me reposer un peu et faire une bonne tournée dans tout le secteur.

- Jeudi 11 mai 1916 -

Rien de spécial à noter. Dans la soirée je vais faire une petite visite à l'ami Foucras qui se trouve à Moussy. Nous passons ensemble une bonne heure à causer. Divers bruits circulent relativement à notre situation dans le secteur : d'aucuns parlent de notre changement, une division attend à Fismes pour nous remplacer. Attendons les événements.

- Vendredi 12 mai 1916 -

Rien à signaler. Toujours calme.


Lettre de L. Poujol à Ernest Olivié.


de L.Poujol 9 e  inf ier ge d'Art ie  4 e  Batt ie   S.P.148

à Monsieur Ernest Olivié  brancardier 322 e  d'Inf ie 17 e  Comp ie  S.P. 139

+    12 - 5 - 16

Bien cher Ami



Je n'ai lu ta lettre du 25 avril que le 8 mai, à mon retour de permission, avec une de Bergonier du 1er mai. Toutes deux ont été les bienvenues. Je vous ai retardé la réponse jusqu'à aujourd'hui, voici pourquoi.
En rentrant de mes 6 jours (bis), je n'ai plus retrouvé mes artilleurs dans le village où je les avais laissés en partant. Ils avaient été s'installer dans un beau bois, un peu plus en arrière, crainte de voir tous ces villages bombardés par les Boches. Alors il a fallu  s'installer, construire, aménager et puis j'étais si
en retard pour toute ma correspondance en général.


Je t'écris par une matinée de forte pluie, sur mes genoux, sous la toile de tente à travers laquelle filtrent de fines gouttelettes qui rendent humide mon papier. Je ne regrette guère le changement. Il est vrai que nous avons passé du beau temps dans ce village où nous avions tout à souhait, mais en somme la vie des bois est plus saine, plus agréable aux beaux jours même, et puis un peu plus guerrière.
J'ai passé d'heureuses Pâques dans la grande église du village quitté. Assistance militaire très nombreuse aux offices. Je ne parle pas des civils qui sont "dégueulasses" tout simplement.
J'ai devancé un peu mon tour de permission parce que mon frère avait quelques jours de convalescence. Je suis arrivé juste pour l'embrasser avant son départ. Rien de bien curieux au pays. Je n'ai pas vu de différence, ou si peu d'avec la première fois. A Rodez, je n'ai vu un instant que Niel
, M. Belmon et Galtier, ... ? ... étant absent à cette heure-là. Il m'intéresse si peu le séminaire maintenant ! Je n'ai vu aucun autre ami ou confrère ; d'ailleurs j'y suis resté fort peu. M. Belmon m'a renouvelé l'offre de me faire ordonner, si l'occasion s'en présentait. Evidemment, le cas échéant je ne refuserais pas, mais je voudrais bien avoir quelques jours de préparation immédiate. J'en sens tellement le besoin. Prie bien pour moi au St Autel à cette intention. Je sens moins le besoin d'être prêtre, ici, maintenant que nous avons un jeune aumônier de l'Anjou bien gentil, et puis les artilleurs étaient bien mieux disposés au début que maintenant. Enfin selon la volonté du Bon Dieu.
Je ne crois pas que le calme de notre secteur dure bien longtemps encore. Les préparatifs intenses qui se font laissent prévoir de durs moments à passer. Y aura-t-il une offensive générale ? Je crois que le fait n'est pas douteux le moins du monde mais nous ne pouvons rien prévoir. Or tout est là : qu'entend l’Etat-major par ces mots ? Certainement pas ce que la plupart entendent, mais il y aura des offensives cet été, n'en doute pas. Je t'avoue même que je garde mon optimisme entier à voir les événements.
Vie assez agréable ici. Village à 2 pas où église et messes. Presque pas de danger encore, tant qu'on reste ici au moins.
Pas de nouvelles de Privat, Estéveny.  Bergonier me raconte ses très mauvais moments d'Haucourt
(?) et Molancourt (?). Il a de la chance et la Providence le protège bien ! Ils y sont restés 60 de son bataillon.
Nouvelles de Verdier qui dit monter dans mon secteur.

Affectueuse embrassade.   L. Poujol.

- Samedi 13 mai 1916 -

Ste-Messe comme d'habitude vers 6 h 30. Quelques obus lancés dans la matinée vers 9 h 30 nous font un blessé (sergent Bruel). Nous devons aller le transporter à Ribodon. Il pleut à torrents et nous avons bien du mal à nous sortir de ces boyaux ; le terrain est très glissant.
Vers 13 h, nous sommes de retour et pouvons nous sustenter un peu. En prévision de la course que j'ai à faire ce soir pour aller au repos, je me repose du mieux que je puis.

Au repos à Dhuizel.

Vers 21 h 30, nous partons avec le peloton de la 24 e  vers Dhuizel qui est notre lieu de repos : arrivée vers minuit, marche pénible par suite de la pluie qui a détrempé le terrain. Logis à la ferme des Moines.


- Dimanche 14 mai 1916 -

Réveil vers 5 h. Je descends immédiatement à Dhuizel pour voir l'organisation du service paroissial. Un confrère, prêtre du diocèse de Meaux (abbé Vallet) du 46 e d'Infanterie, Bataillon de Marche, se trouvant là, nous ne disons qu'une messe chacun. Je me charge de celle de 9 h, mon confrère tiendra l'harmonium, puis dira une messe tardive à 11 h pour ceux qui n'auraient pas pu assister à la première. Bonne assistance à l'une et à l'autre.
Repos pendant l'après-midi. Vêpres à 18 h 30. Plus rien à noter, je me couche de bonne heure, devant aller au travail avec la compagnie à 5 h du matin.

- Lundi 15 mai 1916 -

Je comptais dire ma messe avant de partir au travail, mais je ne le puis, la compagnie partant une heure plus tôt qu'on ne m'avait dit. C'est une grande privation, surtout pour une journée de repos. Forte pluie pendant toute la matinée. Le chantier se trouve

au bord du canal latéral à l'Aisne, à gauche de Viel-Arcy. Bois touffus qui nous cachent à la vue des Boches dont les lignes nous dominent à 7 ou 800 mètres environ. Nous sommes mouillés jusqu'aux os. Repas sur l'herbe. Heureusement que, dans la soirée, le temps redevient plus clément, nous nous séchons un peu. Retour vers 15 h ( 5 ou 6 km au moins à franchir pour retourner à Dhuizel).
rien de nouveau au retour. Réunion le soir à 18 h 30 avec prière, chapelet et bénédiction.

- Mardi 16 mai 1916 -

Ste-Messe à 6 h 30. Journée calme, comme elles le sont à peu près toutes ici dans la matinée, je fais un peu le nettoyage de l'église.
Soirée comme à l'ordinaire. Bénédiction à 18 h 30. Toujours un bon petit groupe ; chant de l'Ave Maria de Lourdes, magnifique !

- Mercredi 17 mai 1916 -

Rien à signaler. Chaleur très forte. On flâne dans la matinée et jusqu'à 3 h du soir. A ce moment-là, nous allons dans le bois voisin faire une claie de branchages.

- Jeudi 18 mai 1916 -

Ste-Messe à 5 h 15 pour permettre à quelques fervents de venir y assister avant le départ pour l'exercice. Dans la matinée, nous allons encore faire des claies. Repos dans l'après-midi. J'orne l'autel de la Ste Vierge de fleurs cueillies ce matin.
Concert par le 122 e .

- Vendredi 19 mai 1916 -

Rien de spécial à noter. Il fait toujours très chaud. Mêmes exercices que précédemment.

- Samedi 20 mai 1916 -

Ste-Messe à 5 h 30. Puis corvée de balayage dans les rues de Dhuizel. C'est plutôt amusant. Un tombereau et un cheval sont à notre disposition pour transporter quelques kilos d'ordures.
Dans l'après-midi, je m'occupe un peu de la cérémonie du lendemain. J'ai décidé d'organiser une messe de sépulture pour le repos de l'âme des 4 victimes des 23 e et 24 e Compagnies, tombés les 8 et 9 mai. Le Commandant de la 23 e Compagnie m'autorise à afficher l'heure de la cérémonie, mais le brave gardien de la cure et de l'église (père Brayer) ne veut pas consentir à laisser dresser le catafalque. Tant pis !
Après la petite cérémonie du soir, j'entends une douzaine de confessions.

Dimanche 21 mai 1916 -

A 6 h confessions et distribution de la Ste Communion à une vingtaine de soldats dont quelques uns font leur devoir pascal. Puis en route pour Pont-Arcy où je dis une messe à 7 h 15. A 9 h, grand-messe de Requiem à Dhuizel. Chant médiocre à cause de l'accompagnateur qui ne connaît pas le plain-chant : église bien remplie tout de même, plusieurs officiers.
Point de vêpres à cause de notre départ pour les tranchées fixé à 19 h et des préparatifs pendant l'après-midi. Relève vers 21 h 30. Beau temps clair et frais, aussi pas trop de fatigue.

- Lundi 22 mai 1916 -

Faute d'abri disponible, je n'ai pas la joie d'offrir le St-Sacrifice. Journée calme et bien ensoleillée.


Lettre – bordée de noir -  de tante Eugénie à Ernest

Toulouse le 22 mai 1916

Bien cher Ernest,


Je réponds sans tarder à tes 2 lettres du 14 et du 17 par cette dernière j’ai cru comprendre que tu l’avais manqué belle encore cette fois d’être pris par les Boches. Tu me disais être dans un secteur tranquille mais je crois bien critique en cas d’attaque, enfin ce que Dieu garde est toujours bien gardé. Espérons qu’il te continuera sa protection, je ne cesse de le lui demander toujours par l’intercession de la Ste Vierge et de St Joseph et j’ai tout espoir qu’il te ramènera sain et sauf, c’est le plus grand désir de mon cœur. On ne vous laisse vraiment long temps au repos puisque tu me disais que vous deviez remonter hier dimanche en ligne où tu dois être en ce moment. J’espère que vous avez le beau temps. Ici il a fait beau toute la semaine, nous avions même une chaleur très forte, 30 degrés dans la cuisine toute la journée, mais aujourd’hui le temps est couvert et s’est bien rafraîchi, mais on aime mieux le beau soleil.

Si tu as besoin de chaussettes ou de quelque chose d’autre, dis-le-moi.
Je me suis empressée ce matin d’aller t’acheter les carnets que tu me demandes. Je ne sais pas si c’est tout à fait ce que tu veux. Si ça ne va pas je tâcherai d’en trouver d’autres. Je te les envoie dans un colis avec un gâteau que je t’ai fabriqué ce matin. J’ai pensé que quoique tu aies pu faire quelques provisions au repos tu ne serais pas fâché de manger une tranche de gâteau d’ailleurs le dernier était si petit que tu dois à peine en avoir goûté si tu en as fait part à tes camarades, ce que je regrette c’est de ne pouvoir y joindre une bonne bouteille de vin pour l’arroser. Tâche de te procurer quelque bidon pour te donner du courage pour supporter les misères inséparables de la vie que tu mènes.
Marie a eu une lettre de Marius ce soir. Il lui dit qu’il va pour le mieux mais qu’il a toujours beaucoup de travail de son sacré métier. Toujours occupé à faire des aménagements, il n’est pas trop malheureux, tant mieux.
Que je te dise que ta Tante et ta cousine m’ont demandé de tes nouvelles comme toujours, et m’ont chargée de te dire mille choses de leur part. François (
Ferriol, mari de Marie-Pauline Olivié, une cousine germaine d'Ernest Olivié ) sait que tu n’es pas éloigné de lui. Il a espoir que ces calamités finissent bientôt.
Adieu cher Ernest. Je t’embrasse affectueusement.

     Ta tante Eugénie.




- Mardi 23 mai 1916 -

Ste-Messe à 7 h. Je porte le Bon Dieu à un camarade en tranchée. Cela me touche beaucoup de promener ainsi sur ma poitrine le St-SACREMENT à travers ces lieux de souffrance. Il me semble que Dieu doit bénir tous ces malheureux qui vivent là dans un état bien triste. Rien de spécial à noter.


- Mercredi 24 mai 1916 -

Messe vers 6 h. Cinq ou six bons camarades de la 21 e  y assistent : 2 ou 3 communions ; c'est bien réconfortant. Bombardement réciproque, entre artilleries surtout. Le temps devient pluvieux.

- Jeudi 25 mai 1916 -

Rien à noter.


- Vendredi 26 mai 1916 -

Ste-Messe comme à l'ordinaire. J'apprends que je vais partir un de ces jours en permission.




*** FIN DU CARNET N° 6 ***





Lettre de Jean-Antoine Estéveny à Ernest Olivié

Camp du Larzac 24 mai  (1916)

Cher ami


C’est de la Cavalerie (Aveyron – Le Larzac) que je t’écris, et non pas de Rodez. Remarque que je n’ai pas fait un bien long séjour au dépôt. Et maintenant voici pourquoi je villégiature en plein air, quasi.
Arrivé des derniers au dépôt, j’ai été désigné comme instructeur des classes 13-17 qu’on est en train de réviser. Nous sommes une cinquantaine du régiment dans ce cas. Tous les futurs instructeurs du corps d’armée, au nombre d’environ 5 à 600, de 41 régiments différents, on nous a groupés au Camp du Larzac pour nous remémorer les principes de l’instruction militaire, que nous avons perdus de vue.
Nous logeons sous la tente … allons à l’exercice 4 heures le matin et 4 heures le soir. Nous serons bientôt nourris au mess, mais en attendant que l’installation soit définitive, nous mangeons où nous pouvons et comme nous l’entendons.
Je t’avoue certes qu’à l’exercice, on nous secoue passablement, on nous rase pour l’argent, mais malgré tout nous nous trouvons bien mieux ici qu’à Rodez.
Tu ne saurais croire le service fou qu’il y a dans les dépôts. On est constamment de service, ou à la gare, ou à l’hôpital, ou en ville, ou aux détachements, etc., etc.
Ici au moins, l’exercice terminé, on nous fiche grandement la paix. Malgré tout on serait bien mieux ailleurs qu’ici. Ce n’est pas le diable de coucher sur la dure et sous la tente, de cuire sous un soleil de plomb, de se basaner le teint….
Mais je n’ose me plaindre quand, écrivant à un soldat du front, je songe que lui s’accommoderait aisément du sort qui m’est fait . J’accepte d’assez bon cœur les inconvénients inhérents à cette vie de camp.

 Je puis te donner  quelques nouvelles de ceux de Rodez que tu connais. Privat est parti en arrière de Verdun, rejoindre le 68 e esquinté (dépôt : le Blanc). J’ai passé avec lui 48 heures entières, épatantes. Pendant ces quelques heures, nous avons pris pension aux plus grands hôtels, nous nous sommes payé tout ce qui nous plaisait. J’ai pu me rendre compte du degré d’abrutissement où le grade d’officier l’avait plongé. C’est effrayant ce que sa mentalité ( ?), sa moralité ( ? ?) ont changé. Quelqu’un qui le voyait, l’ayant connu jadis, me disait « Qui reconnaîtrait en ce jeune officier élégant, sûr de lui, débrouillard, le jeune séminariste gauche, lourd, etc., etc., d’il y a 4 ans ». C’est vrai, et je te permets de lui rapporter cette réflexion si le cœur t’en dit.
Niel, susceptible de partir pour l’arrière, va être ordonné samedi prochain, à moins de contrordre.

Monteils, prof à Ste-Marie, est toujours dans la lune de miel.

  La Babecquerie fonctionne toujours, mais j’y ai trouvé, m’a-t-il semblé, c’est peut-être une simple impression, un peu moins d’intimité.
La soupe sonne. L’air frais du Causse a creusé mon estomac. Je te quitte pour « le caler ».
Au revoir, mon cher ami, pense un peu à moi qui n’ai plus autant de secours religieux que toi, sois-en assuré.
Mes gentillesses à tout le clan.

Estéveny.



Suite du récit : Troisième permission.



 
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