En 2e ligne. ----- 122e R.I. ----- 21e Cie - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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En 2e ligne. ----- 122e R.I. ----- 21e Cie

1915 > Préparation en Champagne (Av.-Sept. 1915)

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- Mercredi 11 août 1915 -


Changement de programme. A 3 h, on nous annonce qu'il faut changer de place : nous allons marcher vers le front. A 5 h en effet, nous partons dans la direction de Somme-Suippe, que nous dépassons. Nous allons vers Cabane-Puits, situé à 6 km des Boches. Toujours mêmes souffrances occasionnées par cet horrible sac. On arrive tout de même dans un bois plein de huttes rustiques mais confortables qu'ont bâties des coloniaux. Il paraît que c'est là que nous allons habiter. L'installation se fait assez rapidement. Je trouve une petite "cagna" pour dire la Ste messe. Je l'aménage de mon mieux. Ce n'est pas une cathédrale, mais le Bon Dieu est si bon ! Il voudra bien cependant descendre dans cette demeure. Journée fatigante dans son ensemble. Le soir à 7 h, je vais à Cabane-Puits prendre un peu de vin blanc pour dire la Ste Messe demain matin. De bons confrères veulent bien m'en donner. Demain, au travail !

- Jeudi 12 août 1915 -


À 4 h ¼ , Ste-Messe dans ma cabane, grâce à l'autel portatif que mon excellent lieutenant M. de Sorbet a bien voulu me procurer. Il me la sert lui-même et communie.
À 5 h, départ pour le travail avec musette, bidon et un outil : pelle ou pioche. On va creuser des tranchées de 2e ligne à 3 ou 4 km des Boches, près de Wargemoulin. Tout le bataillon marche, il y a beaucoup à faire en effet. A 7 h, nous arrivons au chantier après avoir suivi d'interminables boyaux, fraîchement creusés. Nous nous mettons à l'œuvre avec ardeur, tandis qu'en face de nous de nombreuses batteries crachent à satiété de longues "kyrielles" d'obus, dans un vacarme épouvantable. Mais nous nous sentons tout de même un peu à l'abri. A midi pourtant, 7 ou 8 obus viennent éclater non loin de nous. Mais vraiment les Boches n'en sont pas prodigues. Vol d'avions. Dîner sous bois. A 14 h, travail jusqu'à 17 h. C'est fatigant. J'ai pourtant bien du courage. J'ai reçu le pain des forts, j'ai immolé la divine victime.
Ayant appris que papa est gravement malade, je souffre beaucoup du manque de nouvelles. Je songe à lui souvent, et je prie un peu pour que Dieu me le garde encore.


- Vendredi 13 août 1915 -


Comme hier. Intéressant vol d'un de nos avions. Feux d'infanterie fort bien entendus. L'avion vient nous saluer à 115 m de hauteur, une fois sa mission accomplie. Nous le saluons de la main.
J'ai pu encore aujourd'hui dire la Ste-Messe. C'est hélas tout ce que je peux faire pour le Bon Dieu, sauf quelques petites élévations de cœur, de temps à autre ; quand il y a un moment de répit.

*** FIN DU CARNET N° 2 ***


- Samedi 14 août 1915 -


Ste-Messe à 4 h, malgré l'envie de dormir. Dieu me dédommage bien d'ailleurs du petit effort que je fais, en m'accordant la grâce d'une Union plus complète à Lui pendant la journée.
On vient à peu près à bout de la portion de boyau entamée voilà 2 jours. Nous nous demandons si nous aurons du repos demain : la fatigue est assez grande le soir, et nous n'aspirons qu'à la tranquillité. De fait, au rapport, on nous annonce que le lendemain nous aurons bains douches et lavage à Somme-Tourbe.

Quant à moi, j'aurai liberté de manœuvre, et je suis chargé d'organiser un autel pour célébrer la Ste-Messe en présence du bataillon. Cette nouvelle me remplit de joie, à la pensée que tout le monde pourra, malgré tout, faire son devoir et honorer un peu notre Bonne Mère le jour de sa glorieuse Assomption. Il est entendu que ceux qui voudront faire la Ste Communion

seront libres d'y aller à Somme-Tourbe. Beaucoup viennent me faire part de leurs préoccupations à ce sujet : je tache de leur donner les renseignements nécessaires.

- Dimanche 15 août 1915 -


Programme prévu exécuté. Je me rends moi-même à Somme-Tourbe, de peur qu'il n'y ait point d'autres prêtres pour entendre confession ou donner la Ste Communion. Mais je puis repartir tranquille, car des quantités de prêtres brancardiers sont là, à la disposition de tout le monde. Je fais quelques provisions et je repars. Quelques instants pour trouver un emplacement convenable, et mon autel est bientôt dressé : nous nous appliquons à le décorer de notre mieux. Couvert non luxueux, mais le Bon Dieu sera tout de même content, j'espère.
A 10 h, le bataillon rentre : un quart d'heure plus tôt, il était à peu près au complet, réuni derrière l'autel où je célébrais une messe basse durant laquelle nous avons fait entendre quelques cantiques en l'honneur de Marie. J'aurais voulu leur adresser quelques paroles pieuses pour essayer de leur faire aimer davantage cette Bonne Mère, mais j'étais tellement fatigué que j'ai cru meilleur de me taire, d'autant plus que, les hommes étant fatigués, ils soupiraient aussi après la soupe. Et pourtant c'est tout ce que nous pouvions faire pour fêter l'Assomption.
Après midi, repos et nettoyage du cantonnement.

Le soir, bonnes nouvelles de mon père que je savais gravement malade.
Visite de M. l'abbé Rey, vicaire de St-Cyprien. (  St-Cyprien sur Dourdou, près de Conques - Aveyron )


- Lundi 16 août 1915 -


Ste-Messe à 4 h dans la guitoune aménagée. Départ aux tranchées à 5 h moins ¼.
Travail incessant comme d'habitude. Quelques obus boches viennent nous saluer : nos batteries pointées en face de nous leur en envoient des volées, au moins 50 pour 1. Cela inspire confiance.
A 3 h (15 h), un cycliste vient nous annoncer qu'il faut partir immédiatement au bivouac, car il faut déménager ce soir à 7 h. On part immédiatement et sans affolement, car on est habitué maintenant à ces sortes de changements. Chacun boucle son sac. Soupe. Puis départ dans la nuit : nous devons gagner la Cote 116, à l'est de St-Jean où se trouvent, paraît-il, des petits bois dans lesquels nous établirons notre demeure. Marche fatigante après une journée de dur labeur, lorsqu'on arrive à 9 h (21 h) dans les ténèbres, car la Cote est visible, et par conséquent repérable, par les ennemis.
Chacun installe son lit, quelques-uns dressent la tente ; pour moi, je m'étends sur la terre nue, à la belle étoile, aux pieds de quelques sapins. Sommeil de plomb, après avoir offert au Bon Dieu cette pénible journée et ce pauvre lit qui fut si souvent le sien pendant sa vie terrestre.

- Mardi 17 août 1915 -


Je puis dire la Ste-Messe dans la guitoune de mon lieutenant. C'est un grand réconfort et une gâterie du Bon Dieu qui me permet ainsi d'immoler partout et toujours son divin fils. Matinée consacrée à aménager des huttes où nous ne passerons, nous assure-t-on, que quelques jours. Après-midi aux tranchées. On ouvre un nouveau boyau sur une crête face à Beauséjour.

- Mercredi 18 à vendredi 20 août 1915 -


Travaux identiques. Rien de saillant, sauf que je suis bien fatigué, mais je trouve toujours dans le St-Sacrifice de la messe la force de supporter courageusement tout ce dur travail.

- Samedi 21 août 1915 -


Rien de nouveau jusqu'au soir. En plein champ, assis à côté d'eux, j'entends à 8 h du soir la confession de 2 bons jeunes gens qui veulent faire la Ste-Communion. Il y en aurait bien d'autres, mais il est si difficile de se rencontrer.


- Dimanche 22 et lundi 23 août 1915 -


Journée consacrée au repos pour quelques-uns. Lavage à Hans le matin. Le Capitaine a bien voulu prendre cette mesure afin de laisser aux hommes la faculté d'assister à la Ste-Messe. A l'occasion, il a même fait paraître une note à ce sujet ; c'est la première fois.


Mais en réalité, beaucoup n'ont pas pu faire leur devoir à cause de l'heure tardive à laquelle ils sont rentrés de la corvée de lavage. A part ceux-là, tous les autres ou à peu près étaient là, recueillis autour de l'autel : grande piété et attitude recueillie, chants bien exécutés et surtout bien sentis. Avant la Ste-Messe, je leur adresse quelques mots que je crois propres à exciter un peu leur dévotion.
La soirée est consacrée au repos pour 2 Compagnies ; 2 autres vont travailler aux boyaux. Il le faut !
A 7 h (19 h), nous partons nous-mêmes pour aller faire notre travail, de nuit, sur une crête dangereuse face à Beauséjour. Ces heures de la nuit sont longues et pénibles. Heureusement le ciel est serein ; c'est une nuit magnifique avec un beau ciel constellé d'étoiles et une lune brillante qui, éclairant nos travaux, seconde aussi nos efforts. Aussi, on dirait qu'amis et ennemis veulent respecter ce calme ; à peine quelques coups de canon sont-ils échangés de temps à autre. De temps en temps aussi, le "moulin à café" se met à cracher un peu de sa mitraille, quelques bombes font explosion ; c'est d'un calme parfait en somme ...

Mais le travail est d'autant plus dur qu'on n'y est pas habitué pendant ces heures. Cependant, tout le monde y met sa bonne volonté.

Au retour, je dis la Ste-Messe chez le lieutenant, vers 4 h ½. Puis repos pendant toute la journée.

- Lundi 23, mardi 24 août 1915 -


De nouveau, départ dans les tranchées à 7 h du soir. Rien de nouveau. Tout en me rendant au chantier à travers les boyaux creusés par nous et qui sont interminables, je fais mes dévotions : chapelet, prière. J'offre à Dieu toutes ces peines et ces fatigues pour le triomphe de la France, pour le rachat de mes péchés, pour la conversion de quelques camarades du Bataillon. Nuit calme. Quelques obus échangés seulement, fusées, mitrailleuses. Ste-Messe au retour. Repos.

- Mardi 24, mercredi 25 août 1915 -


Répétition de la journée d'hier. On commence un peu à être fatigué de ce travail de nuit, parce que pendant le jour on se repose mal, et que de plus on nous demande un rendement assez considérable. Mais on travaille tout de même de son mieux.
Vers 9 h 30 du soir, on vient m'appeler avec quelques autres pour que nous allions dormir, pour travailler demain au piquetage. C'est sans façon qu'on va se coucher.
Ste-Messe à 5 h ½. Départ à 6 h ½ direction Minaucourt. Journellement, depuis la retraite boche, ce village reçoit des obus, aussi c'est désert. Il n'y a qu'un "poste d'attente" au flanc d'une carrière. L'église dresse encore fièrement sa flèche qui semble défier les obus. Pourtant l'un d'eux a ouvert une brèche affreuse sur le chœur, dont la voûte s'est effondrée, abîmant l'autel, mais chose curieuse, laissant complètement intactes une statue du Sacré-Cœur et une autre de St-Joseph. Le mobilier de l'église est encore en bon état, et témoigne d'une église très bien tenue avant l'arrivée des barbares. Je fais une courte visite à cette église martyre, et prie les saints et saintes qui ornent encore ces piliers, condamnés eux aussi à la destruction, de venger leur église en chassant les Boches.
Travail un peu sous les obus qui vont éclater un peu plus loin, vers nos batteries qu'ils veulent atteindre. Immenses entonnoirs de grosses marmites tout autour du village.

- Mercredi 25, jeudi 26 août 1915 -


Tracé de boyau à un point très dangereux, au-delà de Minaucourt, sur une crête très en vue des Boches. Il faut travailler accroupis, c’est ennuyeux, mais d’innombrables trous d’obus que traverse notre tracé nous invitent à la prudence. Le sol est jonché de ferraille.
On entend siffler les obus au-dessus de nos têtes. L’un éclate tout près de nous. C’est que les Boches ne sont qu’à 1500 m ! Dieu veille sur nous, et nous garde pour aujourd’hui ! Ç’a été une excellente occasion de renouveler le sacrifice de ma vie.

- Vendredi 27 août 1915 -

Travail de jour à un boyau déjà commencé. Ste-Messe à 5 h 30. Je puis par conséquent me reposer un peu plus que d’habitude, ce n’est pas de trop. Mais d’autres en auraient autant besoin que moi, et c’est ce qui fait que je n’en jouis pas complètement. Travail très fatigant à cause de la chaleur torride qui tombe sur nos casques en acier, distribués depuis quelques jours. Calme absolu ou presque.

- Samedi 28, dimanche 29 août 1915 -


Tout le monde est au repos aujourd’hui, parce que ce soir tout le Bataillon doit marcher et fournir une somme de travail considérable, au point dangereux, au-delà de Minaucourt. De peur d’un bombardement, on veut avancer le plus possible les travaux.
Je me repose un peu, mais atmosphère très lourde qui énerve et assomme ; impossible de dormir. A 7 h (19 h) départ aux tranchées ; un gros orage est suspendu sur nos têtes. Il éclate quand nous arrivons dans la vallée des pins : obscurité complète, éblouissement par les éclairs, on ne voit pas seulement le camarade qui est devant soi, on se tamponne à tout bout de champ, la pluie se met de la partie, c’est affreux. On va buter contre des voitures de ravitaillement qui laissent passer l’averse, la foudre éclate à deux reprises à peu de distance de nous. On va s’abriter dans quelques « cagnas », derrière une carrière à l’abri des obus.
A 21 h l’orage cesse. On gagne le chantier et à l’œuvre !
 La lune vient nous éclairer. Temps radieux pendant toute la nuit. Aussi fait-on du bon travail. On est 5 pour creuser 3 m de long sur 1 m 30 de profondeur. Calme relatif sur le front en face de nous. Les balles perdues arrivent à nos pieds : 3 blessés, 1 balle au pied, une à la main, un 3 ème par un coup de pioche à la tête. C’est encore assez peu.


Départ pour le retour à 3 h 30. Nous sommes éreintés et le chemin est long. Le sommeil m’accable et le boyau me paraît interminable. Enfin j’arrive esquinté, et je m’affale sur la paille. Il a été décidé que je dirai la Ste-Messe à 10 h 30, en plein air. Je dors jusqu’à 9 h 30 puis, voyant que tout le monde dort encore et que la pluie menace de tomber, je dis purement et simplement la Ste-Messe dans la cagna de M. Cros, devant un petit groupe. Cela me fait beaucoup de peine de voir le bataillon privé de la messe, mais la raison de dispense était vraiment suffisante. Le Bon Dieu ne demande jamais l’impossible.
En somme, triste dimanche que rien ne rappelle aux hommes : c’est ennuyeux, mais c’est une de ces tristes nécessités de la guerre. Temps pluvieux toute la journée, bien fait pour dormir. Je ne fais que ça toute la journée. Récollection le soir chez Cros.

- Lundi 30 août 1915 -


Nuit consacrée au repos, bien gagné certes. Matinée du 30 : travaux de propreté à Hans, lavage et douche. J’ai la joie de rencontrer mon confrère M. Foucras du 322 e. Nous sommes heureux de causer un peu de mille choses qui nous intéressent.
Après-midi, repos complet. Départ pour le travail de nuit à 6 h du soir. Travail incessant sous les balles perdues qui sifflent de temps à autre, et accompagné le plus souvent du grondement de nos canons, auxquels répondent de temps à autre quelques batteries boches ; mais c’est curieux comme ils sont avares de leurs munitions. Bombes lancées toute la nuit. Il pleut. Retour à 5 h. Ste-Messe.

- Du 31 août au 4 septembre 1915 inclus -


Même travail, fatigue croissante parce que nous nous reposons mal pendant le jour. Et pourtant le courage ne faiblit point. Les Français sont tenaces malgré tout.



Suite du récit :  Voilemont et Contault
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