St-Rémy s/Bussy-2 ----- 122e R.I. ----- 34e Cie - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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St-Rémy s/Bussy-2 ----- 122e R.I. ----- 34e Cie

1915 > Préparation en Champagne (Av.-Sept. 1915)

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Lundi 17 mai 1915 –


Rien à signaler. Nous apprenons que dans la journée de samedi, à Beauséjour et Perthes, nous avons obtenu de bons succès. Dans le Nord on fait aussi du bon travail.
La soirée est orageuse, nous ne sortons pas pour l’exercice.

Un incident insignifiant nous fait voir que les populations de par ici ne sont pas plus patriotes qu’il ne faut : la propriétaire de la grange dans laquelle nous cantonnons, à cause de quelques dégâts causés par nous pour empêcher la pluie de pénétrer dans la grange, a eu l’audace de nous dire que les Boches n’en ont pas fait autant. C’est bien caractéristique. Mais je veux bien croire que cette femme était un peu trop conduite par la colère, et que du moins le sentiment qu’elle manifestait ainsi n’est pas le sentiment général.

Mardi 18 mai 1915 –


Matinée comme à l’ordinaire. Je dis la Ste Messe pour le lieutenant Gaudard du 142 e, tué à l’ennemi le jour même de son arrivée aux tranchées. Mon lieutenant m’a donné 2 messes à son intention.
Dans l’après-midi, bain-douches à Somme-Suippes, à 8 km d’ici. C’est la gare de ravitaillement de la 31 e Division. Départ à 13 h 50 sans sac ; arrivée à 15h½. Installations de douches assez bonnes, étant donné les circonstances. Ça manque un peu de décence, mais les soldats ne sont pas précisément bien délicats. Retour à 18 h 30.

Mercredi 19 mai 1915 –


Départ pour la marche à 5 h. En conséquence, je dois me lever à 3 h ½ pour pouvoir dire ma messe à 4 h. Itinéraire : la Croix-en-Champagne, Auve, Tilloy, St-Rémy, au total 22 km. Temps plutôt frais, favorable à la marche, aussi personne ne cale.
Au passage à la Croix-en-Champagne, nous remarquons des cantonnements superbes dans lesquels séjournent des artilleurs (du 53 e et du 24 e), section des munitions. À l’entrée, cette inscription : « Quartier Joffre », puis on voit le nom de quelques allées « Allée Poincarré », etc…
À Auve, les impressions changent : toutes les maisons bâties sur la route nationale de Paris à Metz sont absolument rasées. Ce n’est qu’un long ruban de ruines sur une longueur de plusieurs centaines de mètres. Quelques maisonnettes en planches ont été dressées sur des ruines : une vague d’horreur nous fait tressaillir à la vue de ces ruines. Le sentiment patriotique se réveille dans toute son ardeur : il faut à tout prix expurger ces sauvages, cause de tant de ruines.
Route nationale magnifique, droite et plate, toute bordée de beaux arbres. Le Tilloy est bâti sur cette route. Une douzaine d’autobus-  … ( ?) stationnent le long des maisons, sur le bord de la route, attendant leur chargement de viande. C’est un centre d’abat, un de ces terribles échafauds où tous les jours sont tués des centaines de bœufs et de moutons, pour apporter une viande fraîche à tous les « poilus » du Corps d’Armée. Sur les bords de la route se dressent de nombreuses potences où les bouchers tous les soirs font leur sinistre besogne. Le tout, du reste, est fort bien tenu et la propreté est parfaite.
Retour à St-Rémy vers 10 h ½. Dans la soirée, rien à signaler : repos jusqu’à 16 h où nous passons une revue d’armes.
Reçu une lettre de l’ami Grialou. (Henri Grialou deviendra lieutenant et survivra à la guerre. Ordonné prêtre ensuite, il deviendra en religion le Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus. Depuis 1985, une procédure de canonisation est engagée par l'Église).


Jeudi 20 mai 1915 –


Rien à signaler. La canonnade se fait entendre, assez violente, à partir de 8h du matin, alors que tous ces jours-ci le calme le plus parfait régnait autour de nous ; avec le beau temps le canon se remet à gronder.
En Italie, il semble qu’on va prendre une décision : le cabinet Salandra qui voulait démissionner pour laisser la place à des neutralistes est maintenu au pouvoir par le roi ; les ambassadeurs d’Autriche et d’Allemagne vont être expédiés. Deo gratias.



Vendredi 21 mai 1915 –


Une des journées les plus intéressantes que j’aie passées depuis le début de la campagne. Un lieutenant a bien voulu me prendre avec les gradés de la C nie pour aller à Somme-Tourbe et y faire des exercices de lancement de bombes.
Messe à 4 h pour pouvoir me trouver prêt au moment du départ. 5 h moins ¼ : on emporte le repas froid. Nous suivons un chemin de traverse qui nous conduit à Somme-Tourbe en 1 h ½. D’ailleurs on n’a pas de sac et par conséquent on marche allègrement. Avant 7h nous arrivons à ce qui fut un village mais qui n’est plus qu’un grand désert de ruines desquelles surgissent quelques légères constructions en planches, des abris en brique construits pour abriter les soldats, et enfin l’église et la mairie qui – chose extraordinaire – ont seules été respectées. Nous traversons toutes ces ruines, véritable vision de guerre qui donne une espèce de mélancolie indescriptible.
Exercices de lancement de bombes fort intéressants. Ces engins sont terribles, leur explosion formidable : c’est une vraie leçon de bruit et d’éclatement de ferraille que nous sommes venus faire. Un lieutenant du 1 er Hussard nous explique fort bien la nature et les procédés à suivre pour lancer ces bombes.
A 9 h ½ nous sommes libres. Déjeuner sur l’herbe, puis visite à la salle où le 2e bataillon du 122e est au repos. J’ai la joie immense, parmi de nombreux camarades du peloton, de retrouver mes amis et confrères Labadie et  Castagné. Ils se reposent en attendant de repartir au front, demain soir. Ce bon petit Castagné ! Je ne puis lui dire toute mon admiration, mais il ne veut rien entendre, il se contente de me dire qu’il en a un saoul ! Qui pourrait croire qu’une si faible enveloppe, un extérieur si modeste, cache de telles vertus guerrières. On passe une bonne heure à causer très agréablement, puis on se sépare en se donnant rendez-vous aux tranchées.
Rentrée à St-Rémy à 3h du soir par une chaleur atroce. A noter que le cimetière de La salle possède le corps du Commandant Cristofari : une croix de bois avec une plaque de zinc portant son nom, son grade et son régiment marquent l’emplacement qu’occupe son corps, comme du reste celui d’une cinquantaine d’autres pauvres morts pour la patrie. En tête du cimetière, une grande fosse surmontée d’une croix : trois Boches dont les noms sont gravés comme pour les Français, dorment là-dessous. J’admire encore une fois la générosité de l’âme française qui dans la mort ne met pas de barrière entre amis et ennemis.

Samedi 22 mai 1915 –


Rien de spécial. En raison de notre fatigue de la veille, point de marche militaire ; on nous emploie, moitié le matin et moitié le soir, à faire des piquets aigus, destinés à fortifier les tranchées ; nous travaillons donc d’un peu plus à la défense de la France. Mois de Marie comme d’habitude.

Dimanche 23 mai 1915 – Pentecôte.

Messe à 5 h à laquelle assiste une soixantaine de camarades, qui presque tous communient ; c’est une grande joie que de distribuer ainsi le Corps du Bon Maître à ces bonnes âmes. C’est une de mes  grandes joies depuis que je suis à St-Rémy et je rends grâce à Dieu de me les procurer. De là au terre à terre de la caserne, l’espace est grand. Il fallut pourtant le franchir.
À 9h, revue d’armes, me voilà parti à briquer mon flingot ; ce qui du reste me valut des félicitations.
À 10h grand-messe, beaucoup de monde, église archi-comble. A 11 h la soupe. A 14h15 vêpres, après lesquelles on va respirer un peu d’air pur et frais.
Décret de mobilisation italienne.

Lundi 24 mai 1915 –


Journée de repos passée en entier à promener ma bosse dans les 4 coins de St-Rémy.
Reçue une bonne lettre de mon ami Poujol. C’est un rayon de soleil pour moi.

Mardi 25 mai 1915 –


Rien à signaler, sauf que l’on apprend la déclaration de guerre de l’Italie à l’Allemagne. Y a bon ! je crois que c’est le commencement de la fin ! Dieu soit béni !

Mercredi 26 mai 1915 –


Marche. Départ à 4 h. Je dois par conséquent dire ma messe à 3 h moins ¼.
Itinéraire : Le Tilloy, Somme-Vesle, Courtisols et St Julien, Bussy-le-Château, St Rémy, au total 27 km. Il fait très chaud, aussi on est éreinté littéralement. Heureusement que l’après-midi est consacré au repos seulement, sauf pour quelques-uns qui sont appelés à se faire vacciner contre la fièvre typhoïde. Je ne suis pas du nombre, l’ayant déjà eu deux fois. Rien à signaler dans la soirée.


Jeudi 27 mai 1915 –


Je suis encore un peu fatigué de la veille. Lever cependant à 4h comme d’habitude. Messe et exercice comme à l’ordinaire. Je suis appelé à diriger une patrouille.
Dans la soirée rien à signaler sauf le bruit qui court d’après lequel d’excellentes munitions de guerre boches sont arrivées en quantités considérables à la gare de ravitaillement (Somme-Suippe).

Vendredi 28 mai 1915 –


Il avait été question de nous envoyer cantonner à Valmy, point historique, à 18 ou 20 km  d’ici. Il paraît que nous allons rester ici. Deo gratias. On y est vraiment très bien. Rien de plus à signaler sauf que nous allons faire des tranchées dans un champ avec de grands outils de parc : c’est assez intéressant. Dans la soirée, même travail, mais avec moins d’intensité.


Samedi 29 mai 1915 –


Rien à signaler dans la matinée. Les artilleurs du 90 e, arrivés le 27, vont prendre position dans les secteurs voisins. Moi je suis planton dans la cour du quartier pendant que mes camarades vont faire des tranchées. Je passe une journée de « farniente », pour empêcher les soldats de pénétrer dans un débit de vin où se trouve une jeune fille pas trop sérieuse. J’ai beaucoup à faire pour tenir dehors nos beaux hussards ! Je profite de ces loisirs pour faire un peu de correspondance.

Dimanche 30 mai 1915  -


C’est aujourd’hui la journée du Bon Dieu et aussi de repos pour le pauvre soldat. Messe de communion à 5 h. Puis revue à 8 h par le lieutenant. Grand-messe à 10 h. Nous sommes officiellement informés que notre départ a lieu demain. On va à HERPONT à 18 ou 20 km  d’ici. On est assez contents, bien qu’on fût très bien ici. Mais on se prend à aimer vraiment la vie d’aventure. Bon petit déjeuner arrosé de champagne pour fêter notre départ de St-Rémy. Pendant la soirée, adieu au Bon Dieu, à M. le Curé et à quelques amis qui sont à l’hôpital pour oreillons.
Départ fixé à 2 h 30. Réveil à 1 h 30. On se couche sans couvertures. On ne va pas avoir chaud !

Suite du récit : cantonnements à Herpont puis Valmy.


 
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