Au front de l'Aisne # 5 - Canal de l'Oise à l'Aisne - 322e R.I. - 21e Cie - 6e Bataillon. - Ernest Olivié - Grande Guerre 14-18

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Au front de l'Aisne # 5 - Canal de l'Oise à l'Aisne - 322e R.I. - 21e Cie - 6e Bataillon.

1916 > Front de l'Aisne

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- Vendredi 9 juin 1916 -

Ste-Messe à l'église de Mont-Notre-Dame. M. le Curé est fort aimable, il veut bien même m'inviter à déjeuner : c'est bien la première fois que ça m'arrive de recevoir une telle invitation de la part d'un collègue depuis que je suis au front, cela me touche d'autant plus. Journée passée à flâner par-ci par-là. A 17 h 30, nous nous embarquons sur les voitures de ravitaillement. Beau temps, aussi voyage à demi intéressant.

Nous passons par Courcelles, Vauxtin. Entre temps les Boches envoyaient des marmites sur Braine dont on apercevait le clocher à notre gauche. Arrivée à Dhuizel vers 20 h. Je ne puis pas emporter mon sac. Je vais porter ma permission à la Grande Roche où se trouve la 21 e  Compagnie. J'y passe la nuit.


- Samedi 10 juin 1916 -

Lever assez matinal. Ste-Messe dans une chapelle improvisée dans une vieille maison avec quelques restes d'ornements de la pauvre église de Viel-Arcy : c'est une vraie crèche de Bethléem, mais N.S. daigne pourtant y descendre comme dans la plus somptueuse basilique.
Je regagne ensuite les lignes où se trouve notre C nie. J'y arrive vers 9 h. Rien de saillant depuis mon départ sauf un très malheureux accident qui a coûté la vie à 2 soldats de la 21 e C nie : l'un d'eux, dans un accès de folie pense-t-on, a brûlé la cervelle à un camarade qui dormait tranquillement dans son abri, puis s'est suicidé

lui-même d'un coup de fusil. Pauvres malheureux ! On ne peut pas imaginer une plus triste mort. Un autre artilleur du 3 e d'Artillerie lourde s'est suicidé lui aussi.
Rien à noter pour l'après-midi, sauf que j'ai broyé un peu de noir, sans trop cependant.


- Dimanche 11 juin 1916 -

Rien de spécial à signaler. Ste-Messe comme d'habitude au Pont-de-Moussy : petite assistance, commandant et major. A 9 h 30, 2 e messe au Bois du Centre. Abri comble. Après-midi pluvieuse, ne se distinguant guère des après-midi ordinaires.


- Lundi 12 juin 1916 -

Toujours la pluie, c'est fort désagréable. Ste-Messe à 6 h, servie par notre brave caporal brancardier qui y communie. Bombardement réciproque assez faible, du reste. On apprend que l'offensive russe en Galicie, engagée depuis quelques jours, prend une bonne tournure : chaque jour les communiqués accusent des dizaines de mille prisonniers. C'est bien fait pour dégager le front boche sérieusement menacé chez les Autrichiens.



Lettre de L.Poujol à Ernest Olivié

+    12 - 6 - 16


Bien cher Ernest


Je suis un peu en retard pour répondre à ta lettre de la fin mai. Comme tu me disais devoir aller en permission dans quelques jours je me suis dit tout d'abord que je n'avais pas à me presser et qu'il te suffirait d'avoir de mes nouvelles à ton retour au front.
Hélas ! qu'il devient difficile d'avoir de la volonté après deux ans de cette vie ! J'ai retardé plus que je l'avais décidé au reçu de ta missive. J'ajoute que c'est toute ma correspondance qui est en souffrance depuis quelque temps. Ce n'est pas une excuse mais au moins une preuve que tu n'es pas le seul oublié !
Et pourtant, circonstance aggravante, depuis le jour de l'Ascension nous sommes au repos dans un petit village, un peu en arrière et au sud du secteur que nous occupions. C'est de là que je t'envoie ces quelques lignes. La vérité m'oblige à dire que j'ai eu durant cette période des occupations assez spéciales qui sans occuper tout mon temps libre, ont servi de prétexte à bien des lenteurs. Nous avons vacciné intensément, contre la typhoïde, les paratyphoïdes etc ; nous avons eu quelques cérémonies et chants religieux à préparer avec notre nouvel aumônier, jeune vicaire angevin de 28 ans, fort gentil. Tout cela joint à l'énervement qui est inséparable de tout déplacement m'a fait renvoyer certaines tâches.
Tu vois que je ne suis plus désormais aussi déshérité au point de vue spirituel. Nous avons eu une nombreuse assistance aux offices à commencer par à peu près tous nos officiers, ce qui est énorme. C'est un réconfort pour soi-même surtout quand on en a été privé pendant longtemps, de pouvoir reprendre ainsi un peu des habitudes qui devraient normalement constituer notre vie. La fête de la Pentecôte en particulier a été très bien. L'"Etendard de Jeanne d'Arc" y a été chanté à l'unisson et pas trop mal réussi. Salut tous les soirs, assez suivi.
Que ne pouvons-nous continuer ainsi longtemps ! Hélas ! après-demain nous ne serons plus là à pareille heure. On remonte parait-il dans le secteur quitté voilà à peine une quinzaine. Ce qui se passe sur le front russe - et qui est si plein de promesses - te fera comprendre ce que sans doute nous allons faire.
A ce propos ce que tu m'as dit de l'éventualité d'une offensive m'a assez amusé sans m'apprendre grand chose. Ici aussi nombreux sont les gens qui pensent comme toi. Il me semble que la question de savoir s'il y aura ou non une offensive de notre part est mal posée. Remarque bien que quelle que soit la réponse, on ne tranche pas pour ou contre la campagne d'hiver, laquelle est aussi compatible avec l'une ou l’autre opinion : sans offensive nous sommes là pour l'hiver, mais nous pouvons y être aussi avec une offensive pas réussie ou à moitié réussie.
Mon sentiment très net est celui-ci : on ne peut pas rester sur la défensive pure toute cette année, c'est évident pour un tas de raisons qu'il serait trop long d'énumérer. Il faudra donc qu'il y ait une offensive en été ou en automne, mais qui de notre part sera en raison inverse de l'effort fourni à Verdun ou en d'autres lieux. La part de ceux qui ne font rien sera plus grande sans doute, mais il est plus que certain que notre front ne restera pas inactif quand l'action sera engagée sur les autres. Ne vois-tu pas déjà par les exploits russes que le mouvement est déclenché et que tous les alliés vont être pris dans l'engrenage.
Donc le fait n'est pas douteux mais le mode incertain aussi bien d'ailleurs que l'étendue ... et le succès malheureusement. Je dois ajouter que je garde ma confiance entière. L'offensive russe fait espérer de si belles choses : c'est de dire que nous ne sommes pas au bout de nos peines. Le Sacré-Cœur puisse-t-il sauver la France en le mois qui lui est consacré !
Quant à nous, nous comptons pour si peu et puis nous savons que nous faisons la Volonté de Dieu. Prions pour pouvoir accepter de bon cœur les desseins de la divine Providence, quels qu'ils soient.

Nouvelles de Privat, Estéveny, Monteil. Je leur dois la réponse comme à toi.

Un souvenir au St Autel pour ma préparation au Sacerdoce.

Mes affections.       L.Poujol.


- Mardi 13 juin 1916 -

Rien à noter, sauf un pauvre malheureux de la 33 e C nie qui est tué net dans l'après-midi. Je ne puis que bénir sa tombe, ayant été appelé par téléphone aussitôt après la soupe. Le temps est toujours sombre et pluvieux.


- Mercredi 14 juin 1916 -

Journée comme à l'ordinaire. Le soir vers 11 h : relève. Nous allons à la Grande Roche au repos remplacer la 21 e C nie. A 11 h, suivant ordre ministériel, avance de l'heure légale. Du coup, nous voici arrivés une heure plus tard que d'habitude. A 3 h, nous pouvons nous coucher. Petit abri agréable pour l'équipe des brancardiers à Viel-Arcy.
Nota R.Foulquier : Loi Honorat. "La guerre durant, l'avancement de l'heure devait permettre des économies d'énergie (gaz, électricité). A la fin de la guerre, l'avancement de l'heure fut supprimé jusqu'en 197x." Le Point 1996.


- Jeudi 15 juin 1916 -

Journée tranquille. Ste-Messe vers 7 h dans une chapelle improvisée à la Grande Roche, c'est une véritable étable de Bethléem : quelques ornements retirés de l'église en ruine de Viel-Arcy servent à l'orner. N.S. daigne y descendre. J'ai la joie d'être assisté au St-Autel par un séminariste de Rodez, l'abbé Palayret, infirmier au 1 er Groupe du 9 e d'Artillerie en position dans ces parages. Je pourrai jouir de sa bonne compagnie pendant ces quelques jours.
Après la soupe, je me rends à Dhuizel pour chercher mon sac et faire quelques visites. Je vois Pascal, séminariste de Rodez. A la nuit, deux d'entre nous vont travailler avec 3 sections de notre C nie. Moi j'irai demain matin.
A la tombée de la nuit, nous récitons le chapelet avec M. Palayret dans notre modeste chapelle. Rien de spécial.


Nota : ce même jour à Mort-Homme près de Verdun était tué Pierre Foulquier, un autre oncle de René Foulquier.


Lettre de Baptiste à son frère Ernest.

16 juin 1916

Bien cher frère

Je réponds à ton aimable lettre qui m'a fait un grand plaisir de te savoir en bonne santé. Pour moi il en est toujours ainsi et je souhaite de tout mon cœur que cette présente te trouve de même. Je suis très content que tu n'aies pas apporté un trop gros cafard à ton retour de permission ; il n'en a pas été de même pour moi, car, si j'écoute bien, il ne m'a pas encore passé. Ca s'était bien passé jusqu'à présent, mais à bout de force on a beau dire, beau faire, c'est bien juste pour pouvoir tenir le moral en équilibre. Je vois que chez nous tout le monde devient hargneux, après tout depuis bientôt deux ans que l'on est là à dépenser les quatre sous que l'on aurait pu mettre de côté. Et puis à tout moment sur le qui-vive ; non, tu sais, il faut bien tout ce que l'on a de bon. Si ce n'était ce grand espoir de revoir un jour le foyer natal, tu sais, je crois qu'il ne se passerait rien de bien - je ne parle pas pour moi, loin de là, car je n'ai jamais perdu espoir un seul instant, mais tout de même, si l'on voulait penser à tout, mais comment ne pas y penser ? Enfin assez parlé de tout ça. Quant au prélèvement des jeunes classes il n'en est plus question chez nous. Tu sais, je n'aurais pas la tranquillité que j'ai là, pour sûr, à une batterie de tir, car, quoique je ne sois pas nommé, j'en fais les fonctions ; ce qui fait que j'ai bien la responsabilité du travail, tout de même, mais j'ai une bonne équipe. Autrement pour le danger il n'y en aurait guère de plus, tant que ce secteur sera tranquille comme il l'est en ce moment, ça ira bien - mais si jamais ils se mettent à faire un bombardement sérieux, ce ne sera pas tenable, car la voie est très bien repérée ; c'est rare si tous les jours ils ne nous bombardent pas. Hier au soir 5 obus qui sont tombés mais sans dégâts, sauf un artilleur qui passait et a été blessé. Enfin je trouve que nous serions dans une belle souricière, si jamais ils faisaient un copieux arrosage. Mais encore il ne faut pas trop se fâcher.
Je pense que Marius t'aura écrit, dans sa dernière lettre il m'a dit se trouver à 5 km de Verdun.
Je ne t'en dis pas plus long pour aujourd'hui, tu me feras savoir de tes nouvelles, mais tu sais, elles y mettent le temps, j'ai vu qu'elles y avaient mis 5 jours.
Au revoir, cher frère, reçois de ton frère les plus tendres baisers.

Baptiste, Secteur 96


- Vendredi 16 juin 1916 -

Lever avant 4 h pour me permettre de dire ma messe avant 5 h. Je dois à ce moment suivre une section de la C nie au travail. Palayret veut bien me servir la messe.
Toute la journée dans les bois, où je m'ennuie passablement. Nous rentrons vers 18 h seulement. Bombardement très violent dans le secteur de Moussy : il parait qu'une de nos unités (1 er Corps) veut essayer un coup de main pour faire quelques prisonniers. L'artillerie boche riposte vigoureusement.

De notre village dominant toute la vallée de l'Aisne, nous voyons éclater des marmites de tous calibres : c'est infernal !

- Samedi 17 juin 1916 -

Ste-Messe vers 5 h, puis répétition de la journée d'hier, seulement on rentre à 15 h pour décorer notre adjudant de la médaille militaire. On s'accorde assez bien pour dire qu'il ne l'a pas gagnée, mais passons ...
Je n'assiste d'ailleurs pas à la cérémonie, et je me rends à Dhuizel afin de voir notre sympathique aumônier de brigade, le R.P. Chocqueel, pour régler avec lui certaines questions relatives à notre ministère. Je puis le rencontrer sans trop de difficultés, et ensemble nous passons quelques instants délicieux.

J'apprends que le 122 e a essayé un coup de main sur un poste ennemi : il a échoué mais n'a compté que quelques blessés légers. En revanche, la 2 e Division du 1er Corps, qui a tenté un coup de plus large envergure, a eu des pertes sérieuses sans aboutir à un succès complet. Cela nous explique le fracas d'hier au soir.
Rendez-vous pour demain au soir avec notre cher aumônier.

- Dimanche 18 juin 1916 -

Les équipes de travailleurs n'ont point de repos, même aujourd'hui. Je me fais remplacer par un camarade auprès de ma section de travail. A 9 h, grand-messe. Peu de monde, semble-t-il, beaucoup des nôtres sont pris par la préparation d'une revue : c'est assommant ! Vraiment on fait bien peu pour procurer à nos poilus quelques facilités pour s'acquitter de leurs devoirs de conscience ! En revanche, beaucoup d'officiers d'artillerie. La petite chapelle devient presque pleine.
Après la soupe, je vais à Dhuizel avec mon ami Palayret. Nous voyons quelques amis communs, entre autre l'abbé Lagrange du séminaire de Bordeaux, excellent enfant avec lequel on peut causer et s'amuser. Puis ensemble, nous allons faire visite à M. l'Aumônier, avec lequel nous allons écouter le concert donné par la musique du 122e, un concert à 6 km des Boches, s'il vous plaît ! N'est-ce pas un peu crâne ?
Retour par les voies les plus rapides, non sans avoir fait la connaissance de 2 s/lieutenants du 122 e, grands amis de M. l'aumônier, et fervents chrétiens, qui veulent bien m'offrir quelques douceurs et m'inviter à déjeuner pour le lendemain : j'accepte, non sans quelque résistance.
Le soir à 9 h, je suis l'équipe des travailleurs : nous allons sur les bords du canal de jonction, où nous restons jusqu'à minuit ½ . Tout est calme.

- Lundi 19 juin 1916 -

Ste-Messe vers 6 h 30. A 11 h, je me rends à l'invitation de M. l'aumônier à Dhuizel. Société charmante, 2 s/lieutenants exquis, à cause surtout de leur grande élévation d'âme et de leur profond esprit chrétien. Aussi tout le repas - délicieux du reste - fut-il empreint d'un grand esprit d'intimité et de laisser-aller de bon aloi, qui me fit certainement du bien, me sortant un peu du milieu terre-à-terre où je vis continuellement. Je mentionne le nom de mes hôtes à titre de souvenir : aumônier C. Chocqueel, S/lieutenantsLe Magneet lt Jouy auxquels vint s'adjoindre l'adjudant Du Camin jeune homme des meilleurs, fort courageux, chef d'un petit groupe de volontaires destinés à aller faire des randonnées dans les lignes boches.
Vers 15 h, je remonte à la Grande Roche
. Soirée comme d'ordinaire en compagnie de l'ami Palayret

- Mardi 20 juin 1916 -

Ste-Messe vers 5 h. Départ au travail vers 6 h avec la section de corvée. Belle journée assez intéressante, à l'ombre des arbres, à quelques pas du canal : je travaille même un peu !
Retour à l'heure habituelle. Soirée comme à l'ordinaire.


- Mercredi 21 juin 1916 -

Journée tranquille. Je vais faire un petit tour à Dhuizel, où je vois l'ami Redoulez sergent-major à la 10e C nie du 122e , Delsol mon cousin de la 10e C nie aussi, et M. l'aumônier (Nota : Delsol de la Berthoumarie, commune d'Auzits).


- Jeudi 22 juin 1916 -

A 5 h, Ste-Messe. Départ à 6 h pour suivre la C nie au champ de tir. Il fait très chaud, beaucoup de poussière. Le champ de tir est assez éloigné, à 4 km au moins de Dhuizel. Vers 10 h, nous pouvons regagner la Grande Roche, sans trop de mal malgré la chaleur.
Préparatifs de départ dans l'après-midi. Départ pour les tranchées vers 21 h. Longue pause en route. Nous arrivons en ligne vers 23 h. Rien de changé. Je reprends ma place au poste de brancardiers de la C nie T.


- Vendredi 23 juin 1916 -

Ste-Messe à l'abri où je loge, vers 8 h 30, après avoir rempli le tonneau d'eau. Journée tranquille, temps assez beau.

- Samedi 24 juin 1916 -

Messe au "Boulevard" vers 7 h, servie par l'ami "Espinasse" de la 23 e C nie, dans un abri

abandonné, triste et sale, mais le Bon Dieu est si bon qu'il daigne descendre dans un tel lieu, et le sanctifier de sa présence sacrée.
Dans l'après-midi, je fais une bonne tournée pour voir un peu les camarades et en inviter quelques-uns à la messe du lendemain, mais c'est difficile pour leur fixer un lieu et une heure propices pour tous !


- Dimanche 25 juin 1916 - Fête-Dieu -

La journée commence mal. De bonne heure, les Boches se mettent à faire pleuvoir leurs grosses bombes sur le secteur du Bois du Centre, cela dure bien plusieurs heures. Aussi, par crainte d'une attaque ennemie, tout le monde est-il tenu de rester à son poste, prêt à toute éventualité.
Je me rends néanmoins à la Ferme de Moussy pour la messe de 7 h 30. Mais personne ne s'y présente sauf 2 ou 3 bons poilus de la 24 e C nie que je suis obligé de renvoyer. A 9 h 30, je vais au Bois du Centre mais l'assistance, quoique satisfaisante, est au-dessous de la moyenne. Décidément pour une fête comme celle de ce jour, ce n'est pas brillant. Mais N.S. regarde les cœurs et la bonne volonté. N'empêche qu'on ne peut pas sans quelque amertume penser aux belles manifestations eucharistiques qui se déroulaient jadis dans nos villages. Puisse le Divin Agneau nous venir en aide pour que reprenne bientôt cette vie véritable, et cet essor libre des âmes vers le ciel !
Restant de la journée assez calme, mais le ciel se trouble et il pleut même dans la soirée.


- Lundi 26 juin 1916 -

Ste-Messe à 7 h dans mon abri, servie par notre caporal brancardier qui y communie. Organisation du service pour ce soir qui nous réserve peut-être des surprises. On doit en effet bombarder violemment le secteur ennemi en face du nôtre, puis tenter de prendre un fortin boche qui se trouve à gauche du Bois du Centre. C'est le 3 e Bataillon du 122 e qui occupe ce secteur, mais ce sont des volontaires qui doivent tenter le coup de main.
Vers midi, en avant la musique !  Le bombardement va crescendo jusqu'à 10 h du soir. Bombes et obus de calibres petits et moyens bouleversent la ligne ennemie. On se rend bien compte de leur effet : il n'est pas terrifiant, car les obus ne sont pas de gros calibre et sans doute que les Boches doivent avoir de bonnes cagnas.
Ils ripostent assez timidement, mais arrosent tout de même un peu partout. C'est miracle que nous n'ayons eu pendant toute cette soirée qu'un blessé, assez léger du reste.
La tentative de prise du fortin échoue, car les Boches étaient trop en éveil, et les pertes en hommes sont insignifiantes relativement à l'importance du bombardement. On apprend cependant que la 122 e, qui a pris une part plus grande à l'action, a perdu 7 hommes tués et a eu une trentaine de blessés.




- Mardi 27 juin 1916 -

Vers 1 h du matin, le calme étant revenu et n'ayant pas de blessé à transporter, nous pouvons prendre un peu de repos.
Mais tout-à-coup vers 3 h, je suis réveillé en sursaut par le crépitement des mitrailleuses et un bombardement intense des 1 ères lignes. Ça y est, ce sont les Boches qui à leur tour ont voulu tenter un coup de main. Mais un de leur "feldwebel" s'étant rendu prisonnier la veille nous avait charitablement prévenus de ce coup de main  : aussi bon accueil est fait aux Boches qui, à peine sortis de leurs tranchées, sont contraints de s'y blottir de nouveau sous les coups redoublés de notre cher "Julot" qui pendant une demi-heure exécute un tir de barrage des plus nourris. Quelques instants après le calme se rétablit. Mais cette fois-ci notre compagnie du "Bois du Centre" est plus éprouvée : 1 mort et 2 blessés assez légers en vérité. Enterrement.
Travaux divers pendant la journée comme d'habitude. Le calme complet se rétablit comme les jours précédents. Mais notre artillerie se montre plus active.



 + le 27 juin 1916

   Bien chère Maman,
   Bien chère Clémence,


Vous voilà toutes deux ensemble à présent ! Vous ne sauriez croire la joie que j'éprouve d'y penser, et je sais que tous les autres partagent mon sentiment. Votre solitude, chère Mère, nous était bien pénible à tous et elle l'était encore plus pour vous. Je ne doute pas que vous ferez fort bon ménage toutes deux : Dieu veuille seulement nous conserver la santé et nous ramener bientôt sains et saufs auprès de vous.
Je vous écris après une nuit passée à peu près blanche : mais vous voyez que ma main ne tremble pas trop ; c'est que je ne suis pas malgré tout trop fatigué : d'ailleurs j'ai toute la journée pour me reposer, mais j'aime mieux vous écrire avant de me coucher, car je risquerais fort, si je me mettais sur la paille, de renvoyer ma correspondance à demain.
Nous avons donc eu hier pendant toute l'après-midi jusqu'à minuit un très violent bombardement fait par nos canons sur les tranchées boches, pour préparer une petite attaque que devait faire un régiment voisin du nôtre : les Boches naturellement ont riposté, mais pas trop fort. Du reste nous
avons ici des abris solides grâce auxquels nous n'avons eu hier au soir, vers 11 h, qu'un blessé très léger que nous n'avons même pas eu besoin de transporter.

Vers 1 h du matin on a pu se coucher, tout étant rentré dans le calme parfait. Seulement ce matin vers 3 heures ça été le tour des mauvais voisins d’en face : ils se sont mis à bombarder sans ménagement, juste à la pointe du jour : mais notre artillerie leur a si bien répondu que tout s’est arrêté là. Malheureusement nous avons eu un blessé un peu plus grave, pas du tout mortel cependant, et un mort.
A 5 heures nous avons évacué le blessé, tout étant redevenu calme, et je rentre de faire l’enterrement du mort. Je vous assure qu’en entendant claquer toute cette ferraille on aurait dit que tout se démolissait, et pourtant voyez ce qu’il y a eu : 2 blessés légers et un mort. Evidemment, c’est toujours trop, mais c’est pour vous dire que grâce à l’aménagement des tranchées et des abris, on n’est plus aussi en danger qu’en rase campagne. Il semble bien aussi que la protection divine y est pour quelque chose car enfin le danger est tout de même sérieux.
J’ai reçu hier une lettre de tante
( Eugénie, de Toulouse) qui va toujours bien : elle me dit avoir reçu de vos nouvelles. Eugénie (la soeur d'Ernest )aussi m’a donné de bonnes nouvelles de Toulouse. Vous devez avoir eu aussi des nouvelles de Marius.
Ces orages qui sont tombés dans la région ont-ils bien endommagé vos récoltes ? Vous pouvez me le dire sans crainte : cela me ferait bien du chagrin, mais à quoi bon le cacher ? Il fait de nouveau un vilain temps par ici : depuis hier il tombe de rudes averses, mais sans tonnerre, ni sans grêle.
Plus rien de nouveau à vous dire aujourd’hui. Ma santé va pour le mieux.

Prions bien le Sacré Cœur de Jésus pendant cette semaine et dimanche prochain.
Demandons aussi à Jésus Hostie un plus grand amour de l’Eucharistie.
Je vous embrasse affectueusement.


Ernest.





Il semble qu'à cette lettre Ernest avait joint ce "Plan des boyaux" :


- Mercredi 28 juin 1916 -

Le temps reste pluvieux et orageux : aussi les boyaux sont-ils de vrais bourbiers. Heureusement que le calme le plus complet règne. De part et d'autre on doit avoir fort à faire pour réparer les dégâts causés par les bombardements de ces jours derniers. On commence à parler sérieusement de l'offensive franco-anglaise dans le Nord ; les journaux restent encore muets là-dessus et se contentent de mentionner un bombardement assez violent de cette région.


- Jeudi 29 juin 1916 -

Ste-Messe comme à l'ordinaire au Pont-de-Moussy où la 21e C nie se trouve en réserve - servie par le Caporal Dujardin.
Rien de spécial à noter pour la journée. Vers 10 h du soir, relève de la C nie des territoriaux en réserve à Ribodon et Pont-de-Moussy. Ils sont remplacés par notre 21 e C nie. Tersy reste à Ribodon.

- Vendredi 30 juin 1916 - Fête du Sacré-Cœur -

Ste Messe à Pont-de-Moussy. J'ai 4 communions : de bonnes âmes qui veulent participer largement à la Fête du Sacré-Cœur à laquelle un si grand nombre ne penseront même pas ! Je suis heureux de me trouver là en cette circonstance. Le beau temps revient. Journée calme. Heure agréable en compagnie de quelques excellents amis de la 21 e sur les bords du canal de jonction.


- Samedi 1 er  juillet 1916 -

Ste Messe au Pont-de-Moussy. Journée un peu mouvementée par suite de la relève qui doit se faire ce soir. Nous sommes remplacés par le 1 er  Bataillon du 122 e . Mais cette relève est fort longue ; nous ne pouvons quitter notre poste que vers 1 h du matin. Fort heureusement, nous pouvons partir sans attendre la compagnie et même, un véhicule nous transporte pendant quelques kilomètres. Nous sommes pourtant bien fatigués quand nous arrivons vers 3 h du matin.



- Dimanche 2 juillet 1916 -

Heureusement, on trouve un petit coin pour dormir tranquillement. Vers 6 h, il faut se lever car à 7 h j'ai une messe à dire à Pont-Arcy. Au passage je dis bonjour à l'aumônier de brigade qui se trouve à l'église, puis en avant sous un soleil ardent ! J'arrive presque en retard.
Après cette 1 ère messe, en route pour la Grande-Roche où je dois dire ma 2 e messe à 9 h. Je dois emporter plusieurs objets nécessaires pour célébrer le St Mystère et qui ne se trouvent pas à la Grande-Roche, entre autre une pierre d'autel fort lourde. Petite assistance à la Grande-Roche : je vois l'ami Palayret.
Après la messe, je suis obligé de rapporter les objets en question à Pont-Arcy, ce qui me fait une bonne course très fatigante par suite de la chaleur.
La bonne demoiselle de Pont-Arcy chez qui se dit la messe veut bien me payer à déjeuner.
Puis je repars tranquillement à Dhuizel où j'arrive vers 13 h, accablé de fatigue, mais content de l'emploi de ma matinée.
Après-midi calme. Souper avec l'ami Lagrange, séminariste de Bordeaux. A 19 h salut du T.S. Sacrement. Assistance médiocre : vraiment la ferveur est en baisse ; il est juste d'ajouter que nos chers soldats sont tiraillés de tous les côtés : ce soir même, après une nuit sans sommeil et une journée de revues, ils vont travailler une bonne partie de la nuit. C'est abuser des forces humaines.


- Lundi 3 juillet 1916 -

Journée employée comme à l'ordinaire. Je ne vais pas au travail, mais durant toute la matinée, nous sommes employés à doucher notre compagnie.
Après-midi tranquille. Nous pressentons que nous n'allons pas rester longtemps dans ce secteur. Et pourtant rien n'est encore fixé !
Petite réunion à l'église le soir : tout petit groupe de fervents.


- Mardi 4 juillet 1916 -

Rien à noter sauf que je ne puis pas dire la messe faute de vin, cela m'ennuie beaucoup. Aussi je délègue l'ami Lagrange pour aller en chercher à l'arrière. Non sans mal, il m'en rapporte une bouteille de Mont-Notre-Dame.
Le temps est triste et pluvieux. Déjà on connaît le régiment qui va nous relever : c'est le 107 e  du 12 e Corps (Brive). Les officiers viennent reconnaître le secteur. Par conséquent c'est une chose sûre. Seuls restent incertains le jour et le lieu où nous irons.


- Mercredi 5 juillet 1916 -

Rien à noter, sauf que je vais voir l'ami Palayret à la Grande-Roche ; ils s'attendent, eux aussi, à être relevés du secteur.
Vers 22 h, nous partons pour la relève. Mais au lieu d'aller à Soupir relever notre 5 e Bataillon comme c'était entendu, nous revenons à notre ancien secteur pour relever le 1 er  Bataillon du 122 e ; ce n'est pas fait, du reste, pour nous déplaire car, étant donné que nous y allons pour 24 heures seulement, on préfère aller dans un secteur déjà connu. On arrive vers 1 h du matin, sans accident mais non sans fatigue.


- Jeudi 6 juillet 1916 -

Repos un peu prolongé dans la matinée. Vers 8 h seulement, je monte au Bois du Centre où se trouve M. Tersy ; je le trouve encore couché. Ensemble nous descendons au Pont-de-Moussy pour dire notre messe vers 9 heures.


Le reste de la journée se passe sans trouble. Notre artillerie envoie quelques obus, mais les Boches ne répondent pas. Ils ne veulent vraiment pas nous laisser un mauvais souvenir du secteur... Je vais au cimetière faire une dernière visite à nos morts du Bois du Centre : 12 des nôtres y dorment leur dernier sommeil. Nos pertes, pendant ces 4 mois et demi, ont été par conséquent minimes.


- Vendredi 7 juillet 1916 -

Nous attendons la relève jusqu'à 1 h ½ du matin. C'est bien long. Il en est ainsi lorsqu'on est relevé par un régiment qui arrive au secteur pour la première fois. C'est le 107 e  de ligne du XII e Corps ( Brive) qui prend notre place. Le jour commence à poindre quand nous arrivons à Pont-Arcy. On passe à Dhuizel sans s'y arrêter et vers 7 h nous arrivons à Paars, où nous sommes cantonnés.

Ste Messe à 8 h à l'église du village, puis repos, bien gagné certes. Les brancardiers du 5 e

Bataillon sont nos voisins, cela me permet de causer longuement avec Foucras et Ditte, et de manger une bonne salade avec eux le soir.
A 7 h, salut à l'église, puis on dort tranquillement, malgré l'incertitude de notre départ qui sera peut-être matinal.
Mon autel portatif, demandé à ma bonne Maman depuis quelques jours, m'arrive ce soir.

- Samedi 8 juillet 1916 -

Réveil à 4 h pour partir à 5 h. Aussi, impossible de dire la Ste Messe. Il pleut bien fort, en avant quand même ! ... Marche longue et pénible. Nous passons par Bazoches, Fismes, Courville, Arcis-le-Ponsart et arrivons à Lagery (Marne) vers 11 h. Après Bazoches, on quitte l'Aisne pour entrer dans la Marne. Jusqu'à l'embranchement de la route de Lhéry, nous suivons exactement le chemin que nous parcourûmes au mois de février, en allant de Châtillon-sur-Marne à Fismes. À Lagery nous sommes cantonnés dans de grands cantonnements en planches, bien aménagés : beaucoup d'air et de lumière, des couchettes propres, des planches à paquetages, des crochets, etc...
Repos pendant la journée, une fois le balayage fait. Le soir à 7 h, salut à l'église du village où se trouve un bon vieux curé qui, sans trop se faire prier, veut bien mettre la sacristie à notre disposition, à condition que nous fournissions tout ce qui est nécessaire pour le St Sacrifice.


- Dimanche 9 juillet 1916 -

Réveil vers 7 h. Mon confrère M. Tersy dit la messe de communion à cette heure-là. Quant à moi, je me réserve pour la grand-messe de 9 h. Les compagnies vont à l'exercice de 8 h à 9 h, ce qui est cause que nous sommes obligés de dire une messe basse pour nous permettre d'avoir fini à 10 h, et pour que M. le Curé puisse dire sa messe paroissiale, à laquelle il tient beaucoup.
Bonne après-midi en compagnie de Gleize, Bonnafé et d'un de leur confrère Bertrand, aspirant au 135 e , qui est venu leur pousser une visite. Salut solennel à 7 h du soir.


- Lundi 10 juillet 1916 -

Ste Messe à 6 h ½ . Tandis que les compagnies vont à l'exercice, nous transportons de l'eau pour les "lavabos" et les tonneaux d'eau potable. Rien à noter pour l’après-midi. A 19 h, salut comme d'habitude.


- Mardi 11 juillet 1916 -

Marche ce matin, départ à 6 h. En conséquence, je dois dire ma messe à 4 h 30 pour permettre à mon servant de messe - le brave Espinasse - de rejoindre assez tôt son escouade.
A 5 h, en avant : petite marche de 10 km sur la route de Arcis-le-Ponsart. A 9 h, on est de retour : c'est une promenade qu'on a effectuée.
Au retour, réunion de tout le régiment pour entendre une conférence du docteur X, médecin-major, sur le sort des prisonniers de guerre en Allemagne. Evidemment, il corse à dessein le tableau, mais tout ce qu'il dit concorde bien en substance avec les récits des journaux et d'autres prisonniers. Au fond, tout cela laisse les soldats assez froids et, s'ils ne restent pas sceptiques, ils disent qu'après tout nous souffrons autant que ces prisonniers, et matériellement parlant, c'est vrai. Seulement, nous avons au moins la satisfaction du devoir accompli, tandis qu'eux sont astreints à se plier à toutes les exigences d'un ennemi implacable.
Après-midi, pas de repos : il a fallu doucher plusieurs compagnies.


- Mercredi 12 juillet 1916 -

Exercice dans la matinée. Messe à 4 h 30. Travaux ordinaires. Eau et douches dans la journée.

Lettre de Jean-Antoine Estéveny à Ernest Olivié

Camp du Larzac 12 juillet 1916

Cher ami


Notre stage au Camp du Larzac est parvenu à son terme. Nous quittons La Cavalerie dimanche matin 16 juillet, par le premier train, pour rentrer au dépôt. Depuis deux mois nous y étions – et ma foi – pas trop malheureux … Du reste, nos « récupérés » vont rentrer sous peu, il faut bien le temps d’aller auparavant un peu en permission et puis d’aménager les locaux où ils doivent venir.
On nous promet 8 jours de permission. Quelle veine ! J’espère bien aider un peu mes parents, puisque mon congé coïncidera avec les grands travaux de la maison. Nous avons une propriété, et pour y travailler il ne reste que ma mère et mon frère de 17 ans. Malgré mon inexpérience agricole, je tâcherai de rendre quelques petits services, ne serait ce qu’en allant

paître le troupeau … un livre sous le bras. Ce n’est pas bien difficile.
A propos de permission : tu me faisais part dans ta dernière lettre de ta déveine lors de ton passage à Rodez : aucun ami avec qui causer, accueil glacial au « bercail ». Je regrette énormément de n’avoir pas été là.

Ne sois pas surpris de la froideur de l’économe. C’est son naturel. Je commence à n’y faire plus attention, malgré qu’à certains moments, ses procédés vexent un peu. Quand je vais au séminaire, je me « débrouille » sans lui : je fais comme s’il n’existait pas. Il peut faire la mine, ça m’est égal… L’essentiel est de le connaître. Tout de même, entre nous soit dit, un peu plus d’égards pour les étrangers (prêtres et soldats), un peu plus de civilité, ne lui nuirait pas. C’est à lui qu’il faut imputer l’absence systématique de prêtres mobilisés à la table du séminaire le dimanche soir… Peut-être ne demande-t-il pas mieux, en raison de la cherté des vivres et de la pénurie des ressources.
J’aime croire qu’il n’est pas cause de ces saillies de mauvaise humeur, que c’est imputable à son tempérament uniquement, qu’il en gémit après coup. La charité nous ordonne de le penser.
Quelle veste nous lui taillons ! ! ! Et que nous sommes méchants. Dieu nous pardonne ces épanchements à tournure aigre…
Il est probable que tu ne retournes pas en permission de quelques jours. Quand l’occasion t’en sera donnée à nouveau, tu ferais peut-être bien d’avertir à la Babecquerie, ne fut ce que par un mot parti de chez toi. De la sorte, il resterait toujours quelqu’un pour te piloter. C’est ennuyeux, j’en conviens, de déambuler tout un jour tout seul, sur le Tour de Ville, comme une âme en peine.
J’ai appris avec beaucoup de plaisir la promotion de Grialou, et je viens de lui écrire pour le féliciter. Ce que je pourrais envier en lui, ce n’est pas tant le  galon que la veine qu’il a d’être tombé à la Compagnie de Cros, et qui plus est, d’y rester. C’est une situation épatante pour eux deux.
Quant à moi, je ne sais quand sonnera l’heure de mon retour au front, mais ce dont je suis sûr, c’est que je ne retournerai pas au 421e. On nous change à peu près tous de Corps, et pour retourner au précédent, il faudrait une veine insensée. Le seul ennui que j’éprouve en face de cette perspective, c’est que je ne vous retrouverai pas, vous – les rares et les seuls que je connaisse – et que si je suis blessé, je ne reviendrai plus ensuite à Rodez, mais ailleurs.
Enfin, à la volonté de Dieu. Qu’il fasse de nous ce que bon lui semblera ; mais qu’il nous donne assez d’esprit surnaturel et assez de force de volonté, pour nous soumettre à ses décisions, quelles qu’elles soient , surtout si elles paraissent dures.
Mes hommages à M. Tercy, des amabilités à tous les collègues : Foucras, Gleizes, Ditte, etc., etc.

Je t’embrasse affectueusement.     Estéveny.  


- Jeudi 13 juillet 1916 -

Ste Messe à 4 h 30. Marche de 13 km à 6 h. On passe par Aougny, l'abbaye d'Igny et Arcis-le-Ponsart. Retour vers 9 h 30.
Repos dans l'après-midi. On commence à préparer la fête de demain : on s’entraîne pour divers jeux organisés par notre bataillon avec des prix assez importants.


- Vendredi 14 juillet 1916 -

Ste Messe vers 6 h 30. Point d'exercice de toute la journée, mais le matin nous avons notre transport d'eau. Classement pour les courses à pied. A 11 h bon déjeuner dont je donne le menu à titre de souvenir : bouillon léger, jambon, pommes de terre rata, bœuf, 1 bouteille de champagne à 4, 1 litre de vin ordinaire par tête, 2 biscuits, 1 cigare. Ce n'est pas trop mal ! La République prend quelque soin de ses enfants, il faut le reconnaître !...
L'après-midi est consacré à des amusements divers : concours de grimaces, scènes et chansons comiques, marche pédestre, etc, etc ... Tout se passe pour le mieux ; tout le monde est en liesse !...
Salut à l'heure ordinaire. A la fin, nous recevons la visite de MM. Foucras et Ditte : on passe quelques bons moments avec eux.


- Samedi 15 juillet 1916 -

Rien d'anormal. Dans l'après-midi les compagnies vont à l'exercice, comme chaque jour. Mais dans l'après-midi commencent à circuler des bruits de départ. On parle d'embarquement pour ce soir. A 15 h cela se confirme. Le départ est fixé à 17 h. A 16 h, soupe sur le pouce, avec le sac monté. A 17 h en effet, le bataillon se met en marche. Le 5 e Bataillon a déjà quitté son cantonnement de Lhéry ; nous le suivons de loin. Temps pas trop chaud, favorable pour la marche de 10 km que nous devons faire pour arriver à la gare de Jonchery (-sur-Vesle) où nous devons embarquer. Nous traversons des coteaux magnifiques avec de beaux villages perdus dans la verdure : Faverolles, etc, etc ... Jonchery est une vraie petite ville où grouillent les embusqués de toutes armes et de toute condition.
Nous faisons pause pendant plus de 2 heures dans une rue au clair de lune. L'air frais du soir nous donne froid au dos ! Enfin vers minuit on gagne les quais de la gare. Là on nous entasse par quarantaine dans des wagons à bestiaux tapissés de paille. On s'installe pour le mieux, c'est-à-dire fort mal. Au bout d'une heure, c'est-à-dire vers 2 heures, l'embarquement est terminé et - dans un demi-sommeil - je sens que le train s'ébranle. Quant à la direction, elle est absolument inconnue de nous tous.



Suite du récit : Au sud de Verdun.

 
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