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Lettre de Léon Poujol à Ernest Olivié.
Léon Poujol est un condisciple d’Ernest, mobilisé dès l’an 1914 ; à cause de cela, il n’a pas été ordonné prêtre.
Ce 19-
Bien cher Ernest
Je crois que tu vas réussir à me faire craindre plutôt que désirer tes lettres : c’est qu’elles sont devenues cruelles autant qu’agréables. On les dirait faites exprès pour me faire souffrir en me plongeant chacune, de nouveau, un peu plus profondément dans la réalité, que le Bon Dieu veut pour nous en ce moment si brutale, si triste !
Tu ne réfléchis donc pas que je vis seul dans un bois de la Champagne Pouilleuse, à l’écart des nouvelles du monde qui souvent me parviennent très atténuées si elles sont mauvaises ! Ne vois-
Je te remercie pourtant du tout : je sais que ce n’est qu’à regret (oh combien !) que tu mêles le triste et l’agréable, et puis tu sais que 8 mois de guerre nous ont fait une telle âme… qu’elle est peu sensible même aux plus rudes coups et pourtant… !
Je ne veux plus rester sur ces impressions pénibles. Le devoir nous dit d’ajouter un nom de plus à notre liste de mort, ce cher Cayla « l’aumônier du 139 e », et de continuer encore notre tâche quotidienne avec le même entrain pour si désagréable qu’elle soit.
Tu remarques la tristesse que contenait ma dernière lettre, d’autant plus qu’elle ne m’est pas habituelle, mais en as-
Quand tu me parles de ma vie peu souriante en elle-
On dit que les artilleurs ont de la veine ! Au point de vue dont je te parle, nous en avons bien peu, moins que le plus malheureux des fantassins …
J’aime bien t’entendre parler de nos chers confrères disparus, une fois que je suis fait à l’affreuse nouvelle. C’est avec un infini respect qu’on contemple ces martyrs au milieu de leurs souffrances et de leur agonie. N’est-
Je comprends aussi fort bien ta hâte d’arriver, de quitter l’ambiance quelque peu désespérante de ce pays.
En dehors de tous accidents, la formule « l’espoir fait vivre » est bien vraie. J’oserai même dire que la mort de l’un des tiens te ferait peut-
C’est bien ce surnaturel qui manque à nos populations pour être à la hauteur morale indiquée par certains journaux ; ils ne l’indiquent et la soulignent que comme un idéal, au moins pour nos populations du midi. Alors que les encouragements et la confiance devraient venir de l’arrière, c’est d’ici que par nos lettres, nous devons les insuffler et les augmenter. Quelle leçon pour nos campagnes ! Heureuses, et heureux nous-
J’aime bien te voir reprocher ton peu de travail pour le salut de la Patrie. Mais je crois que tu as parfaitement fait tout ce que ton devoir te commandait de faire sur ce point. Je n’en veux pour garant que cette réflexion. Je n’ose pas ajouter que je désire ton arrivée par ici le plus tôt possible. C’est si égoïste et je crains tant pour des amis comme toi ! La liste n’est-
Ce matin, on m’a donné le bonjour de Privat. Hier soir il passait .( ?). son bataillon pour les tranchées : il m’a demandé, mais je n’étais pas là. J’aurais pourtant si fort tenu à le voir et à le féliciter. J’y réussirai j’espère sans tarder, fallut-
Je n’ai plus rien à te dire en ce qui me concerne. Il est si banal de dire que l’on se morfond, et cela depuis 8 mois ! A peu près rien d’autre à faire qu’à lire 3 ou 4 journaux de Paris, à me promener, à fumer… Souvenez-
Au point de vue professionnel, fort peu de travail. Un canon a éclaté à mon groupe l’autre jour, mais aucun blessé, quant aux Boches, ils sont bien trop maladroits pour nous toucher. A propos de canons, il en éclate pas mal, on suppose que cela provient des nouveaux obus. Hier à la 7 e du 9 e, il y a eu 3 blessés par un accident semblable.
Le temps est radieux. Tous les jours passe aux
Tu me le diras sans tarder et d’autres choses. Je ne veux pas te dire ce que je t’envoie comme souhaits, à toi et à nos chers amis communs, qui ont la complaisance de s’intéresser à nous, mais soyez assurés que c’est bon.
Tout à toi avec respect et affection.
L. Poujol.
Nota : Dans le chapitre "Annexes", sur quatre pages nommées "Qui sont-
Lettre d’un ami – peut-
+ H…. 23 avril 1915
Dans la zone du front, les noms de lieux étaient censurés.
Mon cher Ernest,
Reçu ce matin ta carte lettre. Félicitation au sujet de ton ordination. Au reçu de ma lettre, joins les mains et, de loin, envoie-
J’ai passé 3 semaines à entendre des confessions ! ! ! Et maintenant je me repose en faisant tous les jours, dans les tranchées, la visite de tous
Et maintenant une histoire. J’ai reçu il y a quelques jours un autel portatif : depuis un mois je célèbre la messe tous les jours. Avant hier donc, je vais trouver le capitaine et lui dis : « Ne serait-
A… n’est qu’à 5 km de H… mais les Boches occupent la route directe ; c’est 9 km que j’ai été obligé de m’appuyer… J’étais à 150 m à peine d’A… quand, occupé à lire mon journal, je lève les yeux et m’aperçois que je suis sur une hauteur, très en vue avec à mes pieds les tranchées françaises et à 800 m à peine les tranchées des Boches.
Si les Français, me dis-
Acte de contrition, signe de croix, je me lève et, tête baissée, je prends ma course sur la route, quand j’entends « cran, cran, cran ». Trois feux de salve suivis du tir d’une mitrailleuse, le tout dirigé sur ton brave serviteur. Je m’aplatis donc sur la route, dans la position d’un ordinant des ordres sacrés et là, alors que les Boches ont tiré un moment sur moi, je fais le mort. Il était 6 h 30 du matin. Je reste là sans bouger sous un soleil de plomb, avec mon autel portatif sur les épaules. Au bout d’une heure, sentant mes bras allongés s’endormir et en souffrant horriblement, je veux esquisser un petit mouvement des mains, mais un nouveau feu de salve des Boches me rappelle à l’ordre. Alors le soleil qui dardait ses rayons en plein sur ma tête, la paralysie complète de mes membres, me donnent le délire (j’avais la tête bien plus basse que mes pieds). Force me fut de rester ainsi sans bouger le moins du monde de 6 h 30 du matin à 8 du soir. Quel supplice ! … C’est la journée la plus terrible que j’aie vécue depuis le début des hostilités et pourtant j’en ai vu ! !
Avec mon sac sur les épaules, les Boches devaient me prendre sans doute, sur cette hauteur, pour un observateur d’artillerie car, chaque fois qu’une batterie de 75, située à ma gauche, tirait quelque coup, ils me gratifiaient d’un feu de salve qu’ils tiraient avec une précision qui me fait encore frémir. Les balles me recouvraient de terre, et le matin l’une d’entre elles remplit de terre mon oreille ; elle me fit horriblement souffrir tout le jour, mais je ne pus la nettoyer qu’une fois la nuit venue.
Ils ont sûrement eu la consolation de m’avoir envoyé ad patres, mais c’est une illusion chez eux. C’est un vrai miracle que je n’aie pas été tué. Je l’attribue à la sœur Thérèse de l’Enfant Jésus que j’ai invoquée dès le matin, et que j’appelais à mon aide à chaque nouveau feu de salve. Humainement parlant, c’est 200 fois que j’aurais dû être tué au cours de cette journée, car ces monstres-
A 8 h du soir, deux soldats d’un autre régiment, envoyés par leur lieutenant (qui m’avait vu tomber là-
Mes bonnes vieilles me restaurent un peu, me préparent un bon lit. Mais je n’ai pas la force de me déshabiller ; je défais mes souliers et me couche tout habillé. Sommeil rempli de cauchemars.
Lever à 4 h 30. Messe à 5 h après avoir confessé mes bonnes vieilles (hors confessionnal, cela va de soi, mais on n’est pas à une censure près en temps de guerre). Et après le déjeuner, je fais comme les rois mages « per aliam reversi sunt in regionem suam ». J’ai bien fait 16 km le matin pour ne pas être vu des aimables voisins d’en face.
A mon arrivée à H… je suis monté aux tranchées voir le capitaine et lui raconter mon aventure. Il en frémissait et m’a dit que, dorénavant, il ne me permettrait plus de sortir de « ma paroisse ». Ç’aurait été une chose fâcheuse pour lui si le moindre accident m’était arrivé hors du secteur du régiment.
Je vais remonter aux tranchées maintenant et visiter tous mes hommes. Le capitaine est très content de mes visites journalières à tout mon monde : il prétend que cela remonte le moral à tous. C’est d’ailleurs mon seul travail et je t’assure que ce n’est pas une sinécure. C’est le ministère rêvé : voir continuellement des soldats, serrer les mains à tous – comme un député aux approches d’élections – dire un petit mot à chacun, quelque chose qui les fasse rire et leur fasse oublier les mauvais moments. Le capitaine prétend que je suis son « adjoint » pour le bon ordre dans la C nie. C’est vraiment la vie du missionnaire que j’avais tant rêvée à une époque : toujours en courses, confessant de ci de là, allant au secours de tous ceux qui ont besoin de mon ministère. Je n’avais jamais rêvé d’une existence qui me permît d’être aussi prêtre que ce que je suis. Deo gratias.
Et si jamais la mort me surprend dans l’accomplissement de mon ministère, elle sera la bienvenue : on ne peut mieux souhaiter et, comme à un de mes meilleurs amis, je te souhaite un ministère aussi rempli.
Nous voilà au vendredi soir et je n’ai pas encore eu un seul instant pour préparer mon « speech » d’après-
Quel dommage que, pendant ces 14 h que j’ai passées hier exposé aux coups des Boches, j’aie eu continuellement le délire : j’aurais eu tout loisir pour préparer tout cela.
Montre ma lettre à ce bon abbé Delmon : il aura ainsi de mes nouvelles fraîches ainsi qu’à Dejean qui attend peut-
Le bonjour à tous. Je t’embrasse in christo. Envoie-
Excuse mon style : ai à faire visite aux tranchées + sermon et suis éreinté par journée d’hier.
Signature : Louis (?) Probablement Bergonier.
Vers le début du récit : Plan des campagnes d'Ernest.